31.3.06

Une mondialisation par la marge

Pour l’Europe, le Sahara est l’incarnation spatiale de la fracture, il représente une accentuation, une exacerbation de la ligne de faille avec son Sud, la tranchée ultime, la plus accusée, d’une vaste zone frontière s’étendant depuis les rives de la Méditerranée. Les « enfermés-dehors » de l’espace Shengen : le Sahara comme espace de relégation.

Le retour des logiques spatiales refoulées :une mondialisation ancienne et contrariée

En ce sens, le Sahara, terre de transit et d’échange, retrouve sa fonction séculaire ; mais dans les conditions contemporaines, il l’amplifie et l’exerce à une échelle plus vaste : l’échelle planétaire. Le bouleversement spatial qu’introduisent les connexions transsahariennes actuelles est ainsi comme un écho : au VIIe siècle, le Sahara avait déjà permis d’élargir les « limites » du monde avec l’ouverture sur l’Afrique, ignorée, puis avec l’organisation et l’animation du commerce transsaharien, qui allait alimenter, pendant plus de dix siècles, d’intenses échanges entre l’Afrique Noire et la Méditerranée, centre du « monde » d’alors. Et cette ouverture et cette nouvelle connexion furent, proportionnellement, un bouleversement spatial aussi radical, sinon plus, que celui engendré par les nouvelles routes océanes et la découverte de l’Amérique sept siècles plus tard... Le Sahara ne fait donc que réémerger d’une latence où l’a plongé la concurrence des routes océanes et où il a fini par être figé avec la colonisation. Le renouvellement de sa fonction de transit prend ainsi le sens d’une reprise d’un processus de mondialisation antérieur : contrarié, alors celui-ci se trouve aujourd’hui revivifié par des dynamiques contemporaines. Il est d’ailleurs intéressant de noter comment cette circulation est en train de modifier les logiques spatiales : en redonnant vie aux anciens itinéraires et aux anciens centres transsahariens qui avaient été marginalisés par la colonisation laquelle, contrant l’organisation spatiale méridienne qui avait prévalu jusque-là, avait institué une organisation zonale, faisant du Sahara un hiatus. (7) Ce renouvellement de la circulation méridienne, transsaharienne, est en quelque sorte un retour de logiques spatiales refoulées ; comme tout retour de refoulé, il est la source, aujourd’hui, d’inquiétudes, parce que ces logiques ne correspondent pas et brisent les cloisonnements institués pour les brider. Le remodelage de l’armature urbaine au profit des anciens centres transsahariens (tel Agadez croissant aux dépens de la capitale Niamey) ou des villes nouvellement créées au Sahara qui se situent sur les axes potentiels d’échanges méridiens (Sebha, Tamanrasset) indique bien le nouvel ancrage méridien des différents espaces nationaux et l’inévitable rapprochement entre Maghreb et Afrique Noire. Les routes transsahariennes concurrentes, et en voie d’achèvement, partant du Maroc, de l’Algérie et de la Libye ne vont pas manquer de consolider cet ancrage, alors que celle pionnière, partant d’Algérie aura déjà joué un rôle considérable dans le développement de la circulation et sa canalisation vers l’axe central alors même qu’elle n’était qu’à son ébauche. (8) Ces routes dans lesquelles investissent les pays maghrébins et des pays comme le Nigeria, au point de financer des tronçons en dehors même de leurs espaces nationaux (comme le font l’Algérie et le Nigeria pour le tronçon nigérien) seraient alors la réplique des routes qui, concurrentiellement, ont animé pendant des siècles le Sahara et arrimé le Maghreb à l’Afrique Noire.

Le Sahara : une ligne de faille double

Le développement de cette circulation, captée par l’Europe et tendue vers elle, puise donc dans des sources de plus en plus lointaines ; il illustre, en outre, l’extension du processus d’« inclusion-exclusion » européen. Vecteur spatial de l’extension du processus d’« inclusion-exclusion » européen à des périphéries lointaines et de son corollaire, le rapprochement entre les deux périphéries maghrébine et noire africaine, le Sahara est aussi l’incarnation spatiale de la fracture qui organise cet espace et des rapports entre ses différents éléments. Il est fracture par rapport à l’Europe, pour laquelle il représente une accentuation, une exacerbation de la ligne de faille avec son Sud, la tranchée ultime, la plus accusée, d’une vaste zone frontière s’étendant depuis les rives de la Méditerranée. La faille saharienne fonctionne aussi comme une réplique géographique, un relais et un amplificateur à l’affirmation plus marquée de la faille méditerranéenne, conséquence de la fermeture plus grande de l’Europe. Aussi, au Sud, à l’intérieur de la périphérie, le Sahara est-il également une ligne de faille, de différenciation et de confrontation. L’accroissement simultané du tropisme de l’Europe et de sa plus large diffusion, d’une part, et de sa fermeture, d’autre part, génère entre les différents éléments de sa périphérie un mouvement de rapprochement et de découverte, en même temps qu’une révélation et une exacerbation de leurs différentiels : espace de transits et de connexions, le Sahara est aussi un terrain porteur de confrontations et de heurts.

Le Sahara, une fracture réplique de la faille méditerranéenne

Alors que depuis des décennies la question de l’immigration maghrébine est un enjeu sociétal et politique majeur en Europe, alimentant des surenchères politiciennes et des phobies sécuritaires, et alors qu’elle continue à être un enjeu très sensible des relations euro-maghrébines ; l’apparition de subsahariens, de plus en plus nombreux, parmi les migrants clandestins en provenance du Maghreb, ajoute une nouvelle dimension à la crise et des nœuds de crispation supplémentaires. Pourtant, ces subsahariens ne sont pas très nombreux proportionnellement aux autres migrants, notamment maghrébins. Ce qui est source d’inquiétude, c’est le fait que leur nombre ne cesse d’augmenter et que, surtout, est important le nombre d’entre eux qui, à défaut et en attente de rejoindre l’Europe, sont des migrants clandestins au Maghreb. Estimés entre 2 et 3 millions, ils sont perçus comme « une armée de réserve » de migrants prête à se déployer vers l’Europe. La question des migrations figure dorénavant en bonne place des conférences des ministres des Affaires étrangères ou de l’Intérieur qui se sont succédé, dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen et elle inclut depuis le début 2000 explicitement la question des migrations transsahariennes pour lesquelles les pays maghrébins sont à la fois responsabilisés, « culpabilisés » et sollicités comme « sous-traitants ». Le retour de la Libye sur la scène internationale et son raccrochage, indirect, au processus de Barcelone, à travers le groupe des 5+5 (9), permet à l’UE de prétendre traiter globalement la question avec les pays maghrébins Le traitement de la question des migrations clandestines, particulièrement subsahariennes, est, de fait, une clause conditionnelle de négociation avec les pays maghrébins même s’il n’affleurait pas toujours dans les déclarations officielles. Mais certains « dérapages » verbaux le confirmaient bien. Sarkozy en tant que ministre de l’Intérieur français, au-delà des rivalités du champ politique intérieur, a, comme d’autres homologues européens, bien montré son poids, au travers de la question migratoire, dans les relations et la coopération avec les pays du Maghreb. Ainsi, commentant et justifiant à la presse algérienne des accords de coopération policière qui venaient d’être signés, exprime, à sa façon, cette conditionnalité : « Si l’on est capable de travailler en totale confiance sur les questions de la sécurité, alors ce sera encore plus facile de travailler en totale amitié sur tous les autres sujets » et dans la foulée, il se lance dans un plaidoyer pour une « zone de sécurité sur la Méditerranée occidentale qui associerait l’Espagne, la France et l’Italie au Nord aux trois pays du Maghreb au Sud ». (10) Mais depuis 2002, cette conditionnalité s’exprime explicitement, collectivement et institutionnellement. Et si les chefs d’Etat déclarent déjà au sommet de Séville (juin 2002) « leur détermination à lutter contre l’immigration illégale, tout en privilégiant la coopération avec les pays d’origine », ils franchissent définitivement le tabou de l’explicite en 20004/2005. Ainsi le sommet européen de Bruxelles des 4 et 5 novembre 2004 déclare vouloir « l’intégration complète de la question de l’immigration dans les relations existantes et futures de l’UE avec les pays tiers » et souhaitant « le renforcement des capacités aux frontières méridionales de l’UE » promet une aide aux « pays qui font preuve d’une réelle volonté de s’acquitter des obligations qui leur incombent ». Ce que les ministres de l’Intérieur et de la Justice réunis deux mois plus tard, le 27-29 janvier 2005, pour en concrétiser les recommandations, traduisent par une claire conditionnalité : « L’intensification de la coopération avec les pays de transit en matière d’asile devrait être prise en compte dans la politique du nouveau voisinage. » Auparavant la réunion du G5 à Florence avait appelé les 3 pays du Maghreb à « s’associer » pour former une « zone de sécurité ». Monnayant le rôle de « sentinelle avancée », les pays maghrébins font de la question des migrations transsahariennes un moyen de négociation et de pression avec les pays européens. La Libye s’en est largement servie pour négocier son retour sur la scène internationale et, avec l’Algérie, pour réclamer la prolongation de la levée de l’embargo à certains instruments militaires de surveillance. De façon plus générale, la question devient un atout pour les pays maghrébins afin de solliciter et de marchander les « aides au développement » qui sont un thème récurent des rencontres périodiques euro-maghrébines du groupe des 5+5. Si, contrairement au processus de Barcelone bloqué, ce dernier connaît une réactivation, depuis 3 ans, c’est parce qu’il est centré quasi exclusivement sur la question de « la sécurité et de l’immigration clandestine ». Ce glissement vers l’axe de la Méditerranée occidentale n’est pas un simple glissement géographique, il est surtout un glissement thématique, recentré sur la migration aux dépens du développement, et marque bien qu’à la « conditionnalité démocratique » affichée au début du processus de Barcelone, s’est substituée une « conditionnalité migratoire » se traduisant par un rôle répressif accru des pays maghrébins.

Les « enfermés-dehors » de l’espace Shengen : le Sahara comme espace de relégation

Si la maîtrise des frontières est devenue une préoccupation essentielle et un dossier des plus prioritaires et des plus sensibles des relations des pays européens avec les pays maghrébins, ceux-ci ne sont pas seulement sommés de surveiller leurs frontières avec l’Europe, ils sont aussi considérés comptables de leurs frontières méridionales en tant qu’elles ouvrent sur des itinéraires migratoires qui les traversent. Remontant en « amont », les exigences européennes portent maintenant autant sur le contrôle de leur territoire (les pressions sur l’Algérie et le Maroc pour faire disparaître les camps de migrants, spectaculairement et rasés et leurs occupants raflés dans les deux pays, au cours du premier trimestre 2005) que sur le contrôle des frontières entre pays maghrébins (notamment la frontière algéro-marocaine) et surtout le contrôle des frontières méridionales. Obligés par les accords d’association de réadmettre les migrants ayant transité par leur territoire, ils organisent leur refoulement, alors que les polices européennes les assistent directement dans la surveillance des flux migratoires. Ainsi le Sahara se trouve-t-il transformé en une sorte de « Limes » par l’embrigadement forcé des pays maghrébins dans le rôle de « sentinelles avancées » sommées de jouer le rôle de barrage de rétention et de sous-traitant d’une répression « déportée » et « délocalisée » loin des frontières et des opinions européennes. Les répressions spectaculaires, dont le Maghreb est le théâtre ces deux dernières années et que les Etats affichent ostensiblement dans une surenchère de communiqués, indiquent bien que ceux-ci ont revêtu l’habit du « supplétif de la répression ». Alors qu’aucune disposition légale ne prenait en compte la réalité migratoire, pratiquement tous les pays maghrébins, entre 2003 et 2004, ont légiféré des mesures plus restrictives de circulation sur leur territoire ; mesures servant à couvrir juridiquement des dispositions répressives qui enfreignent tout autant les garanties de protection des personnes que celles des libertés publiques des pays légiférant eux-mêmes . (11) Paradoxalement, ce sont dorénavant les pays maghrébins qui, après s’en être défendus, mettent en exergue la forte présence de migrants sur leurs territoires ainsi que leur proximité avec l’Europe dans un désir de la faire valoir comme une « rente géographique » pour la « protection » de l’Europe. Chacun d’entre eux se présente dorénavant comme « le lieu de passage » privilégié et la plaque tournante des migrations africaines. Renversant la figure de la victime, le discours officiel maghrébin présente les sociétés locales comme victimes de flux migratoires envahissant et, relayant le discours sécuritaire européen, présente l’étranger comme une menace. Les propos de Chalgham, ministre des Affaires étrangères libyen illustrent ce renversement : « Certains quartiers de Tripoli sont entre les mains des immigrés. Ils imposent leurs lois, la drogue et la prostitution sont florissantes. Quand je disais que pour nous c’est une invasion, c’est exactement ce que je pensais. » (12) La manchette « immigration clandestine » est quasi quotidienne, notamment en Algérie et au Maroc, et se décline sous différents thèmes, depuis les communiqués égrenant les refoulements jusqu’à la diabolisation des migrants les associant à la délinquance ou à la propagation des MST. Depuis deux ans, les vagues de répression sont non seulement ininterrompues, importantes et violentes, mais elles sont surtout mises en scène médiatiquement pour être données, à voir même si les conditions de leur déroulement, elles continuent à être fortement tues parce que révélant de graves atteintes aux droits des personnes. Les différents corps de sécurité (police et gendarmerie) se déversent, régulièrement, chacun dans ses communiqués égrenant les arrestations, les refoulements et l’abnégation des services de sécurité comme autant de gages demandés et donnés par les pays maghrébins en tant que preuve de bonne disposition à la coopération avec l’Europe. Mais ils s’acquittent de leur rôle de « barrage de rétention » en amplifiant le caractère répressif caractérisant leur mode de gouvernance. A l’égard des migrants africains, les pays maghrébins ne font qu’amplifier les dépassements et les violations qu’ils exercent déjà aux dépens de leurs citoyens.

Notes de renvoi

7) Grégoire Emmanuel et Schmitz Jean (2000) : monde arabe et Afrique Noire : permanence et nouveaux liens, Autrepart, n°16, pp5-20
8) Bensaâd, 2003 ; Blin Louis (1990) : l’Algérie du Sahara au Sahel, Paris, l’Harmattan, 502 p. ; Marc Côte (2005), présent numéro ; Grégoire Emmanuel (1999) ibid
9) Groupe composé, côté maghrébin, de la Tunisie, de l’Algérie, de la Libye, du Maroc et de la Mauritanie et, côté européen, de l’Italie, de la France, du Portugal, de l’Espagne et de Malte
10) El Watan, quotidien, Alger, 26 octobre 2003
11) Belguendouz Abdelkrim (2003) : le Maroc non Africain, gendarme de l’Europe ?, Rabat, 132 p., Auto-édition
12) Déclaration à La Stampa reprise par Le Monde, 25 août 2004.


source : ElWatan, Ali Bensaad , 01/11/2005

27.3.06

Les poubelles de la mondialisation

Comme l'a rappelé l'affaire du « Clemenceau », les pays émergents récupèrent de plus en plus de déchets toxiques en provenance du monde développé. Derrière un recyclage qui pourrait apparaître économiquement cohérent se cachent des risques sociaux environnementaux croissants que n'arrivent pas à conjurer les conventions internationales.

L'odyssée ubuesque du porte-avions Clemenceau a fait ressurgir la question des « pays poubelles ». Toutes ces nations, pour la plupart en voie de développement, qui recueillent les déchets du monde entier pour les recycler partiellement et faire disparaître le rebus. Une activité considérable puisque, selon les chiffres du programme des Nations unies pour l'environnement (Pnue), quelque 300 millions de tonnes de déchets toxiques sont produits annuellement par les pays industrialisés et ce chiffre ne peut que s'accroître de façon exponentielle avec l'émergence rapide des nouveaux géants. La liste de ces matériaux est longue: déchets minéraux issus du pétrole, solvants organiques, déchets ménagers, pneus usés, substances et minerais toxiques, déchets biomédicaux, composants électroniques nocifs, etc.

Réduire les transferts
En théorie, cette sphère d'activité et de commerce international n'est pas une jungle. Elle est régie par une noria de textes, conventions et traités internationaux aux premiers rangs desquels se place la Convention de Bâle, entrée en vigueur en 1992 et désormais ratifiée par 165 pays (seuls trois signataires n'ont pas ratifié : Haïti, l'Afghanistan et... les États-Unis). En substance, cette convention exige de réduire « au minimum, conformément à la bonne gestion environnementale », les transferts de déchets dangereux entre pays développés et en développement, posant en principe que ces déchets « doivent être traités et éliminés aussi près que possible de leur source de production ». Manifestement, le « possible » n'est pas toujours praticable. Si l'on en croit l'ONG Greenpeace, pesticides obsolètes, navires en fin de vie et déchets électroniques affluent à pleins tombereaux vers les zones en développement qui se font fort de les recycler.

Le recyclage, maître mot du débat et ferment d'ambiguïté. Une récente étude du « Basel Action Network » fait mieux comprendre la problématique à propos des déchets électroniques. En partant de la constatation du fait qu'une bonne part de la croissance du secteur informatique des pays en développement a été alimentée par l'importation d'équipements usagés des pays riches, cet organisme de surveillance indépendant basé à Seattle laisse entrevoir un jeu à somme positive (win-win). D'un côté, les pays riches se débarrassent de leurs déchets électroniques qui, s'ils étaient enfouis, menaceraient les nappes phréatiques ; de l'autre, les pays pauvres peuvent s'équiper à bon compte en réparant et en réutilisant, grâce à leur main-d'oeuvre bon marché, de vieux équipements. Le même raisonnement peut s'appliquer au démantèlement des navires, les pays concernés (Inde et Bangladesh notamment) compensant, avec l'acier recyclé, leur déficit de production de ce minerai. Sans compter, bien sûr, l'effet bénéfique en matière d'emplois : globalement, 1 demi-million de personnes sont employées sur les deux chantiers navals d'Alang (Inde) et Sitakundu (Bangladesh).

Pollution
Mais tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. D'abord, il y a souvent « maldonne » en matière de toxicité des produits à traiter pour recyclage. Le flou concernant la quantité d'amiante toujours embarquée par le Clemenceau (46 tonnes officiellement, jusqu'à 1.000 tonnes, prétendent certaines organisations écologistes) explique la volte-face de Paris et le rapatriement du porte-avions. Ensuite, beaucoup de matériaux destinés au recyclage ne sont pas réparables et vendables. Résultat: les décharges se multiplient, notamment en Afrique, et polluent atmosphère et nappes phréatiques.

Il y a quelques années, la fameuse « clause sociale » (interdisant les pratiques antisyndicales ou l'exploitation des enfants) avait opposé pays du Nord et du Sud dans l'enceinte de l'Organisation mondiale du commerce. Cette fois, la ligne de fracture est beaucoup plus floue. Face aux protestations de milliers d'ouvriers menacés par le chômage (ce fut le cas au chantier d'Alang après l'annonce du rapatriement du Clemenceau), les gouvernements des pays émergents hésitent à adopter une position trop tranchée sur ces sujets et tentent de désarmer l'activisme des organisations écologistes en mettant en avant les transferts technologiques en matière de sécurité et de décontamination. D'autres États, comme la Chine, adoptent une attitude carrément hypocrite : le gouvernement de Pékin condamne l'importation de déchets et laisse faire les administrations locales...

Mais l'ambiguïté n'est pas qu'au Sud. Grands exportateurs d'amiante, la Russie mais aussi le Canada ont refusé que plusieurs formes de cette substance soient intégrées dans la liste des produits chimiques dangereux visés par la Convention de Rotterdam (signée en 1998). Pas question, dans ces conditions, d'informer les pays importateurs des dangers potentiels. Pas question non plus de songer à freiner l'ardeur des pays qui se spécialisent, comme la Russie, dans le retraitement et le stockage des résidus nucléaires : s'ils font l'objet d'une convention spécifique fixant les normes de sécurité en la matière, les déchets radioactifs sont exclus de la Convention de Bâle.

300 millions de tonnes de déchets toxiques sont produits annuellement par les pays industrialisés et ce chiffre ne peut que s'accroître de façon exponentielle avec l'émergence rapide des nouveaux géants .

source : La Tribune, Daniel Vigneron , 13/03/2006

23.3.06

La République des «machins»

Commissions, observatoires, hautes autorités… Souvent aussi redondantes qu'insolites, des centaines d'instances rattachées au gouvernement ont vu le jour ces vingt dernières années. Revue de détail d'un mal bien français

Il y a d'abord eu la commission Pébereau, puis le rapport Pébereau, qui, selon Philippe Séguin, président de la Cour des comptes, «n'apporte rien de nouveau» et puise largement dans les travaux de la Cour sur la dette publique. Voici maintenant le Conseil d'orientation des finances publiques, «instance permanente de dialogue et de proposition», chargée de briser le cercle vicieux de la dette. La solution miracle à vingt ans d'échec politique ou un énième machin administratif? Certainement le symptôme d'une maladie bien française, la polysynodie, plus communément appelée «commissionnite aiguë».

En gros, dès qu'un problème épineux surgit, l'exécutif se sent obligé de créer une instance pour montrer qu'il ne reste pas inactif. Les émeutes dans les banlieues? Jean-Louis Borloo promet une Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances. Les tentatives d'OPA sur des fleurons industriels français? Le Premier ministre propose un Conseil de stratégie industrielle.

Hautes autorités, conseils, observatoires et autres «comités Théodule» … les ovnis administratifs n'ont cessé de se multiplier au cours des vingt dernières années, avec une accélération notable sous les gouvernements Raffarin puis Villepin; chacun d'eux ayant bien sûr vocation à «chapeauter» ses prédécesseurs sans les supprimer, formant une sorte de mille-feuille inextricable. A tel point que des hauts fonctionnaires exaspérés ont même créé un Observatoire des observatoires sur Internet!

«Ces instances ont aujourd'hui des statuts extrêmement variés, du plus informel au plus institutionnel, abordant les sujets techniques les plus pointus comme des thèmes très larges», constate Jean-Claude Thoenig, chercheur à l'Insead. Difficile donc d'établir une typologie précise et surtout de mesurer le coût de cette réunionnite pour la collectivité. Depuis 1996, une annexe budgétaire - un «jaune», comme on dit - tente de recenser les 600 commissions ou instances consultatives rattachées au gouvernement. On y trouve parfois le nombre de réunions ou le coût de fonctionnement de tel organisme. Des chiffres qui ne sont cependant pas tous à jour…

Recyclage des hommes politiques
Le gouvernement Raffarin avait pourtant promis de mettre de l'ordre dans cet univers kafkaïen. Et que croyez-vous qu'il fit? Il instaura un Conseil d'orientation de la simplification administrative, succédant à la défunte Commission pour les simplifications administratives, créée sous Lionel Jospin. Dans la foulée, Eric Woerth, chargé de la Réforme de l'Etat, annonçait fièrement la suppression de plus de 200 commissions et l'économie de 3 000 postes!

Sont ainsi tombés au champ d'honneur la fameuse Commission nationale du peuplier ou le Haut Comité du thermalisme et du climatisme. Mais certains rescapés s'accrochent, comme la Commission des orgues non protégées au titre des Monuments historiques ou le Conseil national du bruit. Cet éminent aréopage s'est réuni 115 fois en trois ans, décernant notamment ses «décibels d'or» aux courageux hérauts de la lutte antibruit.

«Surtout, la plupart des commissions supprimées ne se réunissaient déjà plus», ironise Pierre Méhaignerie, président de la commission des Finances de l'Assemblée, qui dresse un bilan sévère de l'action gouvernementale. Depuis des années, cette instance se bat contre l'empilement des structures, qui fait également des ravages dans les départements.

Les parlementaires ont notamment tenté d'empêcher la création du Conseil d'analyse de la société, une trouvaille permettant à Jean-Pierre Raffarin de recaser son ex-ministre de l'Education, Luc Ferry. Ce dernier touche 1 800 € par mois d'indemnité, auxquels il faut ajouter 2 700 € en tant que membre du Conseil économique et social, la troisième assemblée du pays, habituée à recycler les amis du pouvoir.

Les députés de la majorité ont également cherché à rogner le budget - 10,7 millions d'euros - de la nouvelle Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, présidée par Louis Schweitzer. Là aussi en vain. «Il suffit de voir les moquettes du siège [un immeuble cossu du IXe arrondissement de Paris] pour comprendre qu'on aurait pu faire des économies», persifle un député.

«La France arrive à saturation»
Une des principales conséquences de cette «commissionnite» est l'accumulation de rapports certes pertinents, mais souvent redondants. En témoigne la profusion des études concernant les allègements de charges sur les bas salaires. Le nouveau Conseil d'orientation pour l'emploi (COE) vient ainsi d'effectuer le bilan chiffré des gains d'emplois liés à ces allègements. Ses estimations rejoignent celles du Centre d'études de l'emploi, qui fait lui-même la synthèse des 15 évaluations précédentes menées par la Dares, l'OFCE, l'ex-CSERC, le CAE, la Direction de la prévision, à Bercy, etc.!

Cette accumulation est un signe de diversité intellectuelle, scandent en chœur les organismes. Argument que rejette le député UMP Georges Tron, auteur d'un rapport sur le sujet, qui pointe la consanguinité des commissions, souvent dominées par les hauts fonctionnaires. Quant aux experts, ils sont parfois adeptes du cumul des mandats. Ainsi, Pierre Cahuc, brillant économiste du travail à l'Insee, est-il membre du Conseil d'analyse économique (CAE), de la Commission économique de la nation, du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (Cerc), et du Centre d'observation économique de la chambre de commerce et d'industrie de Paris. «Plusieurs centaines de personnes - fonctionnaires, chercheurs, responsables associatifs et syndicaux - vivent de cette intermédiation, renchérit un membre d'un observatoire. Elles forment une sorte de couche d'ozone qui dispense les politiques de réfléchir et d'agir.»

«Les commissions sont des lieux de rencontre nécessaires, nuance Sophie Boissard, directrice du tout nouveau Centre d'analyse stratégique. Mais il est vrai que la France arrive à saturation; certains membres ne peuvent plus assurer eux-mêmes leur participation et se font représenter.» Le centre, qui remplace le Commissariat général du plan, sera donc une «tête de réseau souple», censée coordonner le travail des organismes publics gravitant autour du Premier ministre. «La création du centre va dans le bon sens, estime Georges Tron. Mais le morcellement des structures demeure.» Ainsi, pour plancher sur un nouveau mode de calcul des cotisations patronales, le gouvernement a formé un groupe de travail animé par Bercy et le ministère de la Santé, puis consulte le COE et le CAE avant que… le centre effectue une synthèse, ouf! Pour Jean-Claude Thoenig, la création du centre illustre surtout la concentration des moyens de la réflexion entre les mains du pouvoir: «Ce qui est structurant, c'est l'intérêt de l'exécutif pour tel sujet à tel moment.» Et le chercheur de déplorer la quasi-absence de think tanks français, calqués sur le modèle anglo-saxon et disposant d'une réelle autonomie intellectuelle et financière.

source: David Bensoussan - L'Express du 23/03/2006

21.3.06

Apologie du mauvais goût

Je me méfie des « élégants ». Il y aura toujours un autre pour les trouver kitsch!

Il paraît que le mot vient d'un verbe 'allemand - kitschen, rénover, revendre du vieux - mais moi, j'ai fait espagnol en deuxième langue, c'est malin. Il est vrai que déjà à l'époque, je n'aimais pas beaucoup l'allemand et ses sons gutturaux. Et j'avais une méfiance instinctive à l'égard de gens capables de porter des chaussettes de tennis blanches avec des sandales dans les campings du Var, ou de virer au rouge écrevisse sur les plages des Baléares.

Pour être plus précis, les origines du kitsch seraient bavaroises. Aussitôt, on imagine des fêtes à la bière, des chansons paillardes, des hommes aux fessiers moulés dans des shorts en peau, des femmes blondes avec des tresses, des grandes claques dans le dos et on se dit qu'une telle origine est probable. Mais j'ai tort, évidemment, d'accabler nos amis germaniques. Car si j'entends être parfaitement honnête, je dois reconnaître que le mauvais goût est la chose la mieux partagée du monde et que nous, Français, ne sommes guère en reste dès qu'il s'agit d'extravagance vestimentaire, de styles discutables, d'usages hétéroclites ou d'habitudes sociales légèrement déphasées. Que je sache, Yvette Horner, avec ses ritournelles à l'accordéon, ses lèvres en sang, ses joues tartinées de fard, ses cheveux massacrés par un Belle Color bon marché, et ses robes à froufrous siglées Jean-Paul Gaultier, est bien française. Cela ne l'empêche pas, avouons-le, de flirter avec une certaine vulgarité. Du coup, s'impose la nécessité de définir plus rigoureusement le kitsch. Le Larousse, qui pesait si lourd dans nos enfances, n'est pas particulièrement explicite ni disert: « Se dit d'un objet, d'un décor, d'une oeuvre d'art dont le mauvais goût, voulu ou non, réjouit les uns, rebute les autres. »

Il convient toutefois de s'arrêter quelques instants sur cette définition qui peut sembler, de prime abord, un peu sommaire. Ce qui est intéressant, c'est le « voulu ou non ». On comprend que, pour certains, le kitsch est une démarche esthétique consciente. Ils iraient, intentionnellement, vers le pompier. Il y aurait quelque chose de délibéré dans leur goût pour un certain baroque. Oui, ce serait du dernier chic de priser l'apparente laideur, ce serait tendance d'aimer le rétro, raffiné de se toquer pour l'in-élégance. Les bobos, par exemple, qui nous expliquent raffoler d'art meringué, de mobilier clinquant et de fringues importables, ne seraient, en réalité, que de malicieux adeptes du contre-pied et les dépositaires officiels de la Uranchitude. En se parant de bad taste, ils démontreraient avec éclat qu'ils sont au-dessus du vulgum pecus qui s'habille de bleu et gris, achète des meubles chez Habitat plutôt que dans des brocantes du Limousin, regarde les films de Truffaut à la télé au lieu de se ruer à la Cinémathèque pour une rétrospective Russ Meyer. Mais si, ...vous savez, Russ Meyer, ce petit homme libidineux qui n'aime les femmes que gonflées à l'hélium et maquillées comme des voitures volées. Hélas, pour beaucoup, le goût du kitsch serait involontaire. Là, bien entendu, dès que notre voisin s'enflamme, sans se rendre compte, pour des chemises bariolées, des commodes en faux Louis XV ornées de plaqué or, et les croûtes infâmes qu'on refourgue aux touristes crédules à Montmartre, on baisse pudiquement les yeux, on avise ses chaussures, vaguement embarrassé, on se racle la gorge, on cherche dans l'affolement un autre sujet de discussion. Le pauvre, ne comprend-il pas qu'il est grotesque, qu'il se ridiculise et que son inclination pour le moche n'est tout simplement pas supportable ?

Oui, il y a ceux qui savent ce qu'ils font et ceux qui ne le savent pas. D'un côté et de l'autre, les mots n'ont pas le même sens. Dans l'explication du Larousse, il est une autre dimension à laquelle il faut s'intéresser: « réjouit les uns, rebute les autres ». Ce qui signifie qu'il en est du kitsch comme de toute forme d'art: on s'y retrouve ou on y est étranger. Avec toutefois, semble-t-il, un degré supplémentaire. Comme si on devait soit adorer, soit abominer. Pas de sentiments tièdes, pas de jugements balancés, pas de propos mesurés. Non, on porte aux nues ou on voue aux gémonies. On encense ou on conspue. Et le kitsch est clivant, comme disent les sondeurs. Il range les gens dans des camps bien déterminés, tranchés, sans recouvrement possible. Mais ce qui est heureux, c'est que ce découpage ne s'opère pas selon les critères traditionnels: sexe, âge, CSP, préférence politique, localisation. On peut être de gauche et raffoler des chansons de Didier Barbelivien. Pas besoin d'habiter la Somme pour porter des cols pelle à tarte, chers à Claude François. On a vu des hétéros reprendre en choeur les tubes de Chantal Goya, des adolescents chanter Come prima chez Pascal Sevran, et des chefs d'entreprise évoquer, avec des trémolos, leur passion pour Casimir. Mais, dans tous les cas, les pour et les contre sont des irréductibles. Les pro-kitsch vomissent les coincés d'en face. Les anti-kitsch se vantent de n'être pas ringards. Les batailles sont homériques. L 'attrait pour l'inesthétique peut être également un acte de résistance de ceux qui se veulent à contre-courant. On aime le baroque pour ne pas ressembler aux autres, on a le sentiment vertigineux de ne pas suivre la masse, on se croit transgressif et provocant. Il y a de l'ivresse à vénérer le disgracieux, quand les humains sont engagés dans une course effrénée à la beauté.

Le problème, c'est que tout ceci n'est pas nouveau. Le goût pour le kitsch ne date pas d'hier, il a la peau dure. A ceci, une raison fort simple: tout autant qu'on se préoccupe de suivre la mode, on s'ingénie à se pâmer pour ce qui est démodé. Dans les années 70, on portait des pantalons patte d'éléphant pour faire comme tout le monde. Dans les années 80, on détruisait les photos compromettantes qui nous montraient accoutrés de la sorte. Dans les années 90, on avait l'impression que la génération suivante nous avait chipé nos frusques, tandis que les magazines de mode criaient au génie. Par ailleurs, la laideur elle-même est intemporelle. Chaque époque secrète son lot de mocheté. C'est facile de dénicher quelque chose de tarte et de s'en emparer. Vraiment, cela exige peu d'efforts de céder à la vulgarité: nous sommes cernés.

Tout de même, on aura une pensée émue pour ceux qui vouent leur existence à la collection des boîtes de camembert, pour les icônes des années 50 qui se teignent les cheveux en rouge et traient les vaches dans les fermes de Vizan devant les caméras de télévision, pour les coureurs de vide-greniers qui raffolent des lustres où pendent de faux diamants, pour les amateurs de dorures en tous genres, pour les fanatiques de puzzles accrochés au mur du salon et représentant un lagon abrité par un palmier, pour les folles des napperons et les toqués du macramé, pour les tatoués fiers de leur Alfa Roméo, dont le volant est recouvert de fourrure et le pare-brise orné d'un « Ginette » énamouré. Ceux-là sont les vrais apôtres du kitsch, tout entiers dévolus à leur religion, les hérauts du toc et des paillettes, du clinquant et du scintillant. Ils sont des poètes à leur manière, touchants, attendrissants, souvent plus vrais que ceux qui ne se préoccupent que de plaire. Ils ont notre affection. Au fond, nous sommes peut-être un peu jaloux de leur insolence et de leur liberté.

source: Philippe Besson - Enjeux Les Echos N°222 Mars 2006

17.3.06

Les auteurs en fin de droits ?

Le piratage sur Internet et le journalisme citoyen sont deux sujets extrêmement proches dans leurs causes et dans leurs conséquences. Le journalisme citoyen, dominé en France par le journal en ligne Agoravox.fr, est un mouvement qui fait de milliers d'internautes les premiers
reporters d'évènements et souvent les meilleurs commentateurs.

Comme l'explique Dan Gillmor, gourou du journalisme citoyen aux Etats-Unis, "My readers know more than I do..." lorsqu'un rédacteur écrit un article sur Internet, il est toujours certain que des lecteurs seront mieux informés que lui. Le journaliste, spécialiste de tout mais expert en rien, se trouve confronté aux réponses immédiates de milliers d'experts dans les sujets qu'ils traitent. Les journalistes traditionnels sont habitués à une information monodirectionnelle, d'eux vers le lecteur. Les journalistes citoyens au contraire, veulent engager des conversations et attendent de leurs lecteurs qu'ils les instruisent davantage. La relation entre le rédacteur et l'auteur, et la manière d'aborder le journalisme, s'en trouvent totalement bouleversées. Le journalisme citoyen et le P2P auraient les mêmes causes et les mêmes conséquences. Grâce au réseau, les internautes deviennent eux-mêmes producteurs et distributeurs (de contenus ou d'information) et les producteurs et distributeurs traditionnels perdent la concentration qui assurait leur monopole.

Là où une dizaine de quotidiens au plus diffusent toute l'information, la blogosphère se compose de millions d'internautes qui témoignent, informent, et analysent. Le monopole des grands
journaux, des radios et des télévisions se trouve menacé par cette déconcentration de l'offre informationnelle. Sans doute est-ce pour le mieux, et là où les maisons de disques et les distributeurs peuvent se réfugier derrière le droit d'auteur pour refuser d'évoluer, les journaux n'ont aucun droit de propriété sur l'information. Les médias traditionnels seront obligés de se réformer s'ils veulent survivre à l'heure d'Internet, et beaucoup ont déjà amorcé cette transition.

source: D'aprés Guillaume Champeau -
Ratiatum.com

14.3.06

On achève bien les bateaux...

Certains sont encore des monstres immenses, d’autres ne sont déjà plus que de gigantesques coques éventrées. À leurs côtés, gisent les carcasses de ce qui était des navires de toutes sortes. La nuit enveloppe les chantiers d’Alang, la poussière et la chaleur de la journée - le mercure frise les 30 degrés en ce début février et les 45 degrés en été - sont retombées. Les projecteurs se sont allumés, ici et là le travail continue et, sur certains sites, grues et pelleteuses sont encore en action. Ouvert en 1983, Alang a longtemps été le plus grand cimetière de bateaux du monde Des milliers de navires, cargos, vaisseaux de guerre, transatlantiques « en fin de vie » y sont devenus des tas de ferraille.

Sur une dizaine de kilomètres s’alignent 173 sites de démantèlement sur la côte ouest du golfe de Cambay où les fortes marées, combinées à un rivage en pente douce, permettent aux bâtiments lancés ou remorqués à pleine vitesse vers la terre de venir s’échouer sur le sable et d’y rester figés. À marée basse, ils sont alors accessibles aux ouvriers. Pas besoins de docks et d’équipements coûteux de la part du gouvernement central propriétaire des chantiers, ni de l’État du Gujerat, qui en assure la gestion et encore moins des grandes entreprises de casse qui exploitent ce site naturel tout autant que la main-d’oeuvre. Alang est une vaste enclave, un monde à part que l’on atteint par une étroite route à deux voies encombrée. Des postes de contrôle filtrent les entrées. Visiteurs et médias n’y ont plus accès, sauf avec une permission rarement délivrée. La campagne menée par les écologistes a provoqué des réactions de colère. Mardi dernier, le Siv Sinna, la branche extrémiste du parti hindou - le BJP, qui a perdu la majorité l’an dernier lors des législatives nationales mais qui reste au pouvoir dans le Gujarat - organisait sur les chantiers des manifestations de protestation contre les menées de Greenpeace. Les journaux locaux en gujarati relayaient l’information. Le Siv Sinna, qui détient la municipalité de Mumbaï où sont les sièges des entreprises de démolition qui sévissent à Alang, est justement lié à tous les grands milieux d’affaires.

Sur les lieux, la tension est perceptible. Alang est divisé en deux zones distinctes que sépare une route. D’un côté, les sites de démantèlement, de l’autre une concentration de cabanons faits de planches agglutinés les uns aux autres. Dans ces bidonvilles s’entassent des milliers d’ouvriers. Il y fait noir malgré le piratage de l’électricité à certains endroits. L’ingénieur Mahesh Panda, qui anime le Centre pour la justice sociale, a été le premier à enquêter sur les lieux en 1995 et à dresser le premier rapport sur les conditions de travail et de vie des ouvriers et les conséquences sur l’environnement de la casse de bateaux non nettoyés avant l’échouage. « Ils étaient à 20 ou 30 dans une même baraque, dormant sur des couchettes superposées. Ils pouvaient travailler vingt heures par jour », explique-t-il. Il se souvient encore d’hommes épuisés, tombant des bateaux par faiblesse, selon des témoignages recueillis à l’époque. « Ils avaient des problèmes de peau dus au contact de matières toxiques, des problèmes respiratoires. Les cales peuvent contenir des gaz et les découpeurs les percent au chalumeau au risque d’explosions. Le sol est saturé de produits toxiques. Or la plupart des travailleurs sont nu-pieds et peuvent se blesser », rapporte encore Mahesh Panda.

Entre 1983 et 2004, la direction maritime du Gujerat (GMB) fait état de 372 décès des suites d’accidents. Mais, de source proche des chantiers, on parle de 50 à 60 décès par an dans la phase de destruction des bateaux, qui est la plus dangereuse. Ce qui signifie aussi des dizaines et des dizaines de blessés estiment ces mêmes sources. Et si le nombre a baissé ces dernières années, on impute plutôt le phénomène au déclin des activités. Sans compter ceux qui sont retournés malades dans leurs villages après avoir respiré des vapeurs de produits toxiques. Car cette main-d’oeuvre migrante vient de loin (voir entretien page 4). Les ouvriers travaillent à la journée, sont recrutés localement dans les provinces arriérées par des agences qui servent d’intermédiaires entre les entreprises de casseurs et les paysans. Ce sont ces recruteurs qui fixent les salaires. Ils tiennent les travailleurs sous leur coupe. Pour ces paysans misérables et analphabètes, ces offres de travail sont vécues comme un eldorado, même s’ils déchantent très vite. À l’échelle indienne, leur faible salaire fait survivre néanmoins leurs familles. Et s’ils acceptent de prendre des risques en participant directement à la casse initiale, ils gagnent un peu plus.

À la grande époque d’Alang, vers les années 1990, les chantiers comptaient entre 40 000 à 50 000 ouvriers. Aujourd’hui, il n’en resterait que 4 000, selon des estimations administratives, et 10 000 selon les organisations de défense des droits de l’homme. « En fait, on n’a jamais su exactement les effectifs d’une telle main-d’oeuvre. Il n’y a jamais eu de chiffre officiel », reconnaît l’avocat Bushan Oza, de l’association de défense des droits de l’homme Janhit. Et cette incertitude même est inquiétante.

La rotation permanente des ouvriers est aussi un handicap pour les syndicats qui n’ont jamais pu s’implanter à Alang, véritable « zone de non-droit » dénoncent les associations de défense des droits de l’homme. « Comment peuvent-ils revendiquer quoi que ce soit ? Si quelqu’un revendique, on ne le fait plus travailler », nous affirme-t-on.

« C’est à l’État de faire respecter ces lois. Nous ne nous battons pas pour fermer ces chantiers, nous voulons que la loi et la sécurité soient respectées dans ce secteur complètement informel de l’industrie indienne du recyclage. Nous demandons que les embauches se fassent directement avec les entreprises de casseurs avec des contrats de travail qui impliquent le respect des règles de sécurité, le droit de s’organiser syndicalement et que l’on prenne en considération les problèmes de pollution. Nous demandons que soient retirées toutes les matières toxiques, parce nous n’avons pas les moyens de le faire », revendique Mahesh Panda.

Plus globalement, les militants indiens s’interrogent sur les raisons qu’a l’Inde d’importer des déchets toxiques issus des pays industrialisés, qui s’en débarrassent ainsi à bon compte. Ils pointent ainsi les responsabilités et des autorités de Delhi et celles des puissances occidentales. Sous la polémique qui fait rage, c’est bien la perversité de l’économie mondialisée et la mise en concurrence des pays du Sud qui sont mis en cause. Ainsi, le rapport de Mahesh Panda a-t-il été soumis en son temps à la Haute Cour. D’autres interventions ont conduit à un renforcement des contrôles depuis 1998. Des procédures plus strictes ont conduit à plus de sécurité, comme l’interdiction de faire échouer les navires contenant encore des hydrocarbures ou des matières toxiques. Vingt-sept chantiers ont été fermés pour des infractions à ces règles. Mais, en ce qui concerne l’amiante, la juridiction reste floue sur l’infrastructure même des navires qui en renferment.

Mais le filet de protection adopté a réussi à faire fuir les armateurs. Le journaliste R. K. Misra ne décolère pas face au déclin d’Alang. « Sur 173 sites, 65 sont encore actifs et les clients ont fui vers le Pakistan, le Bangladesh, la Chine, où l’on est moins regardant sur les procédures parce qu’il n’y a pas de démocratie ni par conséquent de campagnes d’opposants », affirme-t-il.

« Depuis trois à quatre ans, des efforts ont été faits à Alang pour mettre en garde les ouvriers contre les dangers des produits », signalent les frères Salanki, qui possèdent une petite entreprise familiale de récupération des métaux travaillant sur les chantiers. « Un institut de formation a été créé et les cours sont obligatoires pour les ouvriers avant qu’ils soient employés à la démolition. » Sur le site sont apparus de tout nouveaux panneaux rappelant l’obligation du port du casque, d’une ceinture de sécurité, d’un masque, de gants, de bottes. Une protection qui doit être fournie par les employeurs. C’est-à-dire les entreprises de casse. Qu’en est-il réellement d’une distribution généralisée de ces équipements de protection contre les substances nocives ? Écologistes, associations de défense des droits de l’homme et syndicats restent dubitatifs. La destruction des bateaux est une grosse affaire d’argent, qui rapporte autour de 10 milliards d’euros dans toute l’Inde.

source: L'Humanité - Dominique Bari : «Aux chantiers d’Alang, on détruit des navires et des hommes »

13.3.06

L'invisible fin de peine

"Le plus pénible en prison, c'est ce temps très particulier. "Le temps vidé de son sens qui s'écoule de vous-même comme une hémorragie. Il y en a qui se vident de leur sang. Nous, les prisonniers de longue peine, nous nous vidons de notre temps."

Il a choisi Ouessant. Cette île de bout du monde aplatie par le vent, loin au large de Brest, où n'accoste, en hiver, qu'une navette par jour. Après vingt années passées en détention, dont onze et demie consécutives, élargi en 2000, Claude Lucas, 62 ans, ancien braqueur de banques, multirécidiviste, a choisi Ouessant pour y vivre avec sa femme, Hélène. Cette prison ouverte sur l'infini où la liberté n'est que conditionnelle, à la merci des bateaux et des intempéries. Il a choisi cette retraite dont il avait eu le temps de rêver : pascalienne, sans divertissement, dans la parenthèse du monde. Loin de la compagnie des hommes, de son passé, de ses blessures.

Une grande silhouette chaleureuse attend sur le pas de la porte.. Dans le petit bureau tout en longueur qu'il appelle gentiment "ma cellule", Claude Lucas lit et écrit. Car, au cours de sa détention, il a changé. Ses compagnons l'appelaient "l'Abbé". Il a passé son bac, découvert la philosophie, fait d'Emmanuel Levinas son maître à penser. Se révélant à lui-même intellectuel et écrivain. Il termine un nouveau livre, s'attelle à un scénario. Suerte, son grandiose roman autobiographique écrit en prison (Plon, "Terre humaine", 1995), avait impressionné la cour d'assises et lui avait paradoxalement valu la clémence alors même qu'il y dénonçait l'inhumanité de la pénitentiaire. "Ce n'est pas grâce à la prison si j'ai écrit Suerte, je tiens à le dire, lâche Claude Lucas avec une dureté soudaine. Je ne supporte pas que l'on considère une quelconque utilité de la prison. Mon destin devait se révéler dans une épreuve, et, par contingence, ce fut elle. L'heure de vérité a duré vingt ans."

En lisant les journaux, ces dernières semaines, le passé a surgi une fois de plus. Depuis la centrale de Clairvaux (Nord), dix condamnés à perpétuité ("Nous, les emmurés vivants") ont lancé le 16 janvier un appel public "au rétablissement effectif de la peine de mort" : un cri de détresse doublé d'une incitation à réfléchir. "Nous préférons encore en finir une bonne fois pour toutes que de nous voir crever à petit feu, écrivaient-ils. Après de telles durées de prison, tout rescapé ne peut que sortir, au mieux, sénile et totalement brisé."

Les "emmurés vivants" de Clairvaux. L'expression rappelle l'admirable début de Suerte : ce monde des longues peines où errent des prisonniers "déjà morts". Cet "univers parallèle si semblable à l'autre, celui des humains d'à côté".

Claude Lucas est concentré. Il s'exprime abondamment et vite, pas de détours, les mots sont exacts. A-t-il encore envie de réfléchir à la prison ? "J'ai tendance à m'en détacher. J'ai fait mon temps, et avec Suerte j'estime avoir accompli ma part de témoignage. Tout cela est loin, maintenant. Quoique... finalement, ça vous rattrape toujours. La preuve, vous êtes ici." Hélène, soudain nerveuse, l'air inquiet, sort s'affairer dans le jardin. Elle avait rencontré Claude par un ami commun du "milieu", et n'a plus cessé de lui rendre visite en prison. Lui donnant jusqu'au bout la force de tenir. Les longues peines, elle connaît.

"Supprimer la peine de mort pour la substituer à la perpétuité réelle, en effet ce n'est pas mieux, commence l'ancien braqueur. Mais il ne faut pas poser les choses sous une forme alternative. La peine de mort est une honte pour un Etat démocratique. La perpétuité, c'est abandonner un condamné à une existence dégénérative, c'est une torture, une euthanasie. Le courage serait de dire : on ne condamne pas au-delà de quinze ou vingt ans. Car la modernité étant ce qu'elle est, aucun individu n'est en mesure de se réinsérer, de trouver du travail au-delà d'une si longue période. Et il subira une deuxième peine. Personne n'y gagne, ni le condamné ni la société."

Les condamnations à perpétuité sont généralement assorties d'une période de sûreté. Celle-ci interdit toute libération conditionnelle pendant quinze à trente ans. Pour plus de la moitié des détenus, elle dépasse dix-huit ans. Depuis un quart de siècle, les peines réellement effectuées se sont considérablement allongées. "De fait, poursuit Claude Lucas, la perpétuité réelle n'existe pas. Mais c'est pire : vous ne savez jamais quand vous allez sortir. Au bout de 18, 25, 30 ans ? Celui qui est assujetti à une condamnation est psychologiquement en situation de perpétuité réelle, soumis à l'arbitraire de la commission d'application des peines, qui elle-même est assujettie à la politique du moment, au procureur [et donc à l'opinion publique], à la pénitentiaire, à la politique du moment..."

Il hésite. Lui-même, à l'âge de 18 ans, avait tué un proxénète. Mais il n'a pas commis de meurtre lors de ses nombreux hold-up. "Je vous avoue que je ressens une crispation quand j'entends parler de perpétuité. On ne peut pas faire l'impasse des raisons pour lesquelles les gens ont été condamnés. Pour beaucoup, il s'agit de crimes sexuels, de crimes de sang. Les injustices existent, bien sûr. Mais je voudrais savoir qui sont ces gens. Tous les crimes ne sont pas les mêmes, tous les condamnés ne sont pas les mêmes. C'est difficile d'avoir un discours tranché."

Chez Claude Lucas, à la fois multirécidiviste et modèle de réinsertion, la prison a prouvé tout et son contraire : son inefficacité comme sa capacité à l'intéresser aux études, à le conduire au bout de lui-même. "Dans mon cas, la prison ne prouve rien du tout, corrige-t-il. Je suis une exception. Hors champ. On ne peut pas se fonder sur mon cas pour parler de réinsertion. Sans Suerte, sans Hélène, que serais-je devenu ? Tout le monde n'a pas la chance de rencontrer sa femme, ni de pouvoir écrire. Mon parcours fait de moi un mouton à cinq pattes."

En 2000, les parlementaires français ont rédigé deux rapports alarmants sur l'état des établissements pénitentiaires. Le Sénat avait dénoncé "une humiliation pour la République" et l'Assemblée nationale, une situation "indigne". En 2004, les mêmes constataient que les conditions s'étaient encore dégradées. Le rapport du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, qui vient de paraître, se dit "choqué" par la "surpopulation chronique" des prisons, qui prive "un grand nombre de détenus de leurs droits élémentaires". Certes, la surpopulation concerne les maisons d'arrêt (destinées aux prévenus en attente de jugement ou aux condamnés à de courtes peines), et non pas les centres de détention et les centrales qui abritent les "longues peines".

C'est une autre forme de dégradation qui atteint ces dernières. Moins violente mais plus perverse, plus insidieuse. Claude Lucas n'a pas de mots assez durs pour la dénoncer. Ses six années passées dans les geôles espagnoles, avant de purger le reste de sa peine en France, lui ont permis de comparer les conditions de détention dans les deux pays.

Au pénitencier de Daroca, en Aragon, Hélène et lui se sont mariés. Etaient témoins le directeur de la prison et la sous-directrice. Après la cérémonie religieuse, le directeur leur a proposé de passer huit heures ensemble. "C'était sympathique et respectueux, note Claude Lucas. Une chose totalement inconcevable en France. Comme ces lieux de vie qui, en Espagne, permettent à chaque couple de se rencontrer, même en maison d'arrêt."

Hélène pointe son nez, subitement bavarde. Tous deux racontent l'enfer des parloirs français, le contact impossible entre homme et femme, le regard des matons, celui, glauque, des criminels sexuels. Cette aberration qui consiste, en France, à distribuer des préservatifs dans certaines prisons alors que celles-ci sont peuplées exclusivement d'hommes. "On autorise donc l'homosexualité mais pas l'hétérosexualité avec sa propre femme, constate Lucas. Toute l'hypocrisie de la pénitentiaire est résumée là, sa procédure d'avilissement délibérée."

Il peut poursuivre longtemps l'inventaire, en tous points défavorable aux "prisons mouroirs" de la France. Dans les prisons espagnoles, certes violentes, la perpétuité n'existe pas. Le détenu qui sort "est immédiatement restauré dans ses droits civiques. Moi, cinq ans après ma sortie de prison, je n'ai pas le droit de voter. Pourquoi cette double peine dont personne ne parle aujourd'hui ? Pourquoi ce tatouage juridique ?"

En Espagne, poursuit-il, le courrier n'est pas censuré. La vie privée est respectée. C'est là-bas qu'il a écrit Suerte. "Les matons prenaient les pages manuscrites et les remettaient à ma femme. En France, jamais Suerte n'aurait pu exister : il aurait dû passer par le ministère de la justice et le contenu n'aurait pas été toléré." Championne en inhumanité carcérale, la France devrait revoir ses principes à l'aune des nouvelles normes pénitentiaires adoptées le 11 janvier par les 46 pays du Conseil de l'Europe. Celles-ci tendent à limiter les brimades afin d'aider les condamnés à mener à leur sortie une vie responsable.

Claude Lucas n'a aucune indulgence pour lui-même. "Vous payez pour vos crimes, et c'est très bien. Mais, en détention, vous voilà en situation de témoin. Vous posez un regard décillé sur un monde qui s'acharne à vous avilir. Qui génère une accumulation de rancoeurs et de violences, des frustrations qui vous restent comme des caillots de bile, sans soupape possible. Qui fait tout pour que vous ne puissiez jamais vous réinsérer. Je soupçonne que ce soit l'objectif, obscur ou inconscient. Telle est la philosophie carcérale."

Le plus pénible en prison, dit encore Claude Lucas, c'est ce temps très particulier. "Le temps vidé de son sens qui s'écoule de vous-même comme une hémorragie. Il y en a qui se vident de leur sang. Nous, les prisonniers de longue peine, nous nous vidons de notre temps. En cela, je comprends les révoltés de Clairvaux."

source: Marion Van Renterghem - LE MONDE Article paru dans l'édition du 16.02.06

9.3.06

«Puff the Magic Google»

Google développerait un service qui permettrait aux utilisateurs de mémoriser chaque données de leurs disques durs de leurs PC sur les serveurs de Google. C'est une rumeur qui court depuis le « Google Annual Analyst Day », événement qui s'est tenu aux Etats-Unis il y a peu, et qui a vu la fuite de ce projet. Google souhaiterait-il mettre à disposition de ses utilisateurs une capacité de stockage illimitée sur ses serveurs en vue de copier le contenu de leur disque dur afin de pouvoir consulter leurs fichiers de n'importe quel PC dans le monde ? C'est en tous les cas une rumeur qui circule sur Internet après l' « erreur » commise par l'un de ses employés. En effet, ces informations sur le Gdrive, ou stockage illimité sur Internet, étaient contenues dans les notes du speaker d'une présentation PowerPoint postée sur le Site Internet de Google par la compagnie après son « Google Annual Analyst Day » jeudi dernier.

Mais Google a enlevé la présentation peu de temps après l'avoir posté et l'a remplacé plus tard avec une version révisée. Dans le format PDF, les notes du speaker avaient été effacées faisant état de ce nouveau projet GDrive, ou stockage illimité sur Internet.

Trop tard pour Google, car certaines personnes, dont Greg Linden, l'auteur de « Geeking with Greg » avait déjà accédé à la version non révisée et l'avait aussitôt divulgué les informations sur ce nouveau projet de Google sur son blog.

Beaucoup de personne se demande comment Google pourrait tirer profit d'un service de stockage illimité de données sur ses serveurs, et qui plus est en respectant la vie privée des utilisateurs. En effet, Si GDrive peut rendre des services aux internautes, il risque de s'attirer rapidement une nouvelle fois les critiques des associations de défense des libertés individuelles et de la vie privée. Une fois les données stockées sur les serveurs Google, qui s'assurera que ces données ne seront accessibles à personne à des fins d'espionnage industriel, de ciblage commercial et marketing, … De plus, comment empêcher un éventuel service GDrive de devenir un entrepôt pour fichiers illégaux. Beaucoup de questions restent évidemment en suspend, d'autant que l'annonce savamment orchestrée du lancement du stockage illimité sur Internet n'est pas officielle.

Les notes du speaker mentionnaient brièvement trois services qui joueraient un rôle crucial dans ce « plan » de Google : « GDS », « Lighthouse » et « Gdrive ».

GDS est apparemment le Desktop Search de Google et, dans ce contexte, fait probablement allusion à la recherche sur PC, c'est le récent service lancé par Google qui permet aux utilisateurs de mémoriser temporairement des copies de leurs disques durs sur les serveurs de Google pour chercher ensuite des informations à partir de n'importe quel ordinateur auxquel ils sont connectés. Il y a deux semaines la société d'analyste Gartner avait conseillé aux entreprises d'établir des règles strictes pour l'utilisation de Desktop Search, rappelant des problèmes liés à la sécurité. « Lighthouse » serait une sorte de « liste d'accès » peut-être une application délivrant un système de « permissions de sécurité » permettant de déterminer qui peut ou pas accéder aux informations mémorisées sur les serveurs de Google.

Enfin, « Gdrive » semble être un service de stockage capable, selon les notes du speaker, de mémoriser 100% des données d'un utilisateur sur les serveurs de Google en transformant les données des ordinateurs personnels en données caches temporaires. Sur le document Powerpoint, on pouvait lire « Avec le stockage illimité, nous pouvons loger tous les fichiers des utilisateurs, en incluant les courriers électroniques, les pages Web, les fichiers images, les carnets d'adresse, … et le rendre accessible a tous et de partout ».

Pourtant peu d'originalité au final dans ces services, à peine dévoilés, car par exemple le stockage en ligne avec un accès à distance via Internet est déjà proposé par Box.net, Xdrive et Yahoo, ... Mais Google a souvent tendance à reprendre des idées existantes et à les relancer avec de soi-disant nouveaux services. La différence essentielle réside dans le fait que quand Google fait quelque chose de nouveau, il fait à une bien plus grande échelle que ses concurrents.

sources : «Google GDrive is not a rumor » by Garett Rogers - Greg Linden Blog « Geeking with Greg »

8.3.06

L’art d’ignorer les pauvres

Chaque catastrophe « naturelle » révèle, s’il en était besoin, l’extrême fragilité des classes populaires, dont la vie comme la survie se trouvent dévaluées. Pis, la compassion pour les pauvres, affichée au coup par coup, masque mal que de tout temps des penseurs ont cherché à justifier la misère – en culpabilisant au besoin ses victimes – et à rejeter toute politique sérieuse pour l’éradiquer.

Je voudrais livrer ici quelques réflexions sur l’un des plus anciens exercices humains : le processus par lequel, au fil des années, et même au cours des siècles, nous avons entrepris de nous épargner toute mauvaise conscience au sujet des pauvres. Pauvres et riches ont toujours vécu côte à côte, toujours inconfortablement, parfois de manière périlleuse. Plutarque affirmait que « le déséquilibre entre les riches et les pauvres est la plus ancienne et la plus fatale des maladies des républiques ». Les problèmes résultant de cette coexistence, et particulièrement celui de la justification de la bonne fortune de quelques-uns face à la mauvaise fortune des autres, sont une préoccupation intellectuelle de tous les temps. Ils continuent de l’être aujourd’hui.

Il faut commencer par la solution proposée par la Bible : les pauvres souffrent en ce bas monde, mais ils seront magnifiquement récompensés dans l’autre. Cette solution admirable permet aux riches de jouir de leur richesse tout en enviant les pauvres pour leur félicité dans l’au-delà.

Bien plus tard, dans les vingt ou trente années qui suivirent la publication, en 1776, des Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations – à l’aube de la révolution industrielle en Angleterre –, le problème et sa solution commencèrent à prendre leur forme moderne. Un quasi-contemporain d’Adam Smith, Jeremy Bentham (1748-1832), inventa une formule qui eut une influence extraordinaire sur la pensée britannique et aussi, dans une certaine mesure, sur la pensée américaine pendant cinquante ans : l’utilitarisme. « Par principe d’utilité, écrivit Bentham en 1789, il faut entendre le principe qui approuve ou désapprouve quelque action que ce soit en fonction de sa tendance à augmenter ou diminuer le bonheur de la partie dont l’intérêt est en jeu. » La vertu est, et même doit être, autocentrée. Le problème social de la coexistence d’un petit nombre de riches et d’un grand nombre de pauvres était réglé dès lors que l’on parvenait « au plus grand bien pour le plus grand nombre ». La société faisait de son mieux pour le maximum de personnes, et il fallait accepter que le résultat soit malheureusement très déplaisant à l’encontre de ceux, très nombreux, pour lesquels le bonheur n’était pas au rendez-vous.

En 1830, une nouvelle formule, toujours d’actualité, fut proposée pour évacuer la pauvreté de la conscience publique. Elle est associée aux noms du financier David Ricardo (1772-1823) et du pasteur anglican thomas Robert Malthus (1766-1834) : si les pauvres sont pauvres, c’est leur faute – cela tient à leur fécondité excessive. Leur intempérance sexuelle les a conduits à proliférer jusqu’aux limites des ressources disponibles. Pour le malthusianisme, la pauvreté ayant sa cause dans le lit, les riches ne sont pas responsables de sa création ou de sa diminution.

Au milieu du XIXe siècle, une autre forme de déni connut un grand succès, particulièrement aux Etats-Unis : le « darwinisme social », associé au nom de Herbert Spencer (1820-1903). Pour ce dernier, dans la vie économique comme dans le développement biologique, la règle suprême était la survie des plus aptes, expression que l’on prête à tort à Charles Darwin (1809-1882). L’élimination des pauvres est le moyen utilisé par la nature pour améliorer la race. La qualité de la famille humaine sort renforcée de la disparition des faibles et des déshérités.

L’un des plus notables porte-parole américains du darwinisme social fut John D. Rockefeller, le premier de la dynastie, qui déclara dans un discours célèbre : « La variété de rose “American Beauty” ne peut être produite dans la splendeur et le parfum qui enthousiasment celui qui la contemple qu’en sacrifiant les premiers bourgeons poussant autour d’elle. Il en va de même dans la vie économique. Ce n’est là que l’application d’une loi de la nature et d’une loi de Dieu. »

Au cours du XXe siècle, le darwinisme social en vint à être considéré comme un peu trop cruel : sa popularité déclina et, quand on y fit référence, ce fut généralement pour le condamner. Lui succéda un déni plus amorphe de la pauvreté, associé aux présidents Calvin Coolidge (1923-1929) et Herbert Hoover (1929-1933). Pour eux, toute aide publique aux pauvres faisait obstacle au fonctionnement efficace de l’économie. Elle était même incompatible avec un projet économique qui avait si bien servi la plupart des gens. Cette idée qu’il est économiquement dommageable d’aider les pauvres reste présente. Et, au cours de ces dernières années, la recherche de la meilleure manière d’évacuer toute mauvaise conscience au sujet des pauvres est devenue une préoccupation philosophique, littéraire et rhétorique de première importance. C’est aussi une entreprise non dépourvue d’intérêt économique.

Des quatre ou peut-être cinq méthodes en cours pour garder bonne conscience en la matière, la première est le produit d’un fait incontestable : la plupart des initiatives à prendre en faveur des pauvres relèvent, d’une manière ou d’une autre, de l’Etat. On fait alors valoir qu’il est par nature incompétent, sauf quand il s’agit de gérer le Pentagone et de passer des marchés publics avec des firmes d’armements. Puisqu’il est à la fois incompétent et inefficace, on ne saurait lui demander de se porter au secours des pauvres : il ne ferait que mettre davantage de pagaille et aggraverait encore leur sort.

Un mécanisme de déni psychologique

Nous vivons une époque où les allégations d’incompétence publique vont de pair avec une condamnation générale des fonctionnaires, à l’exception, on ne le dira jamais assez, de ceux travaillant pour la défense nationale. La seule forme de discrimination toujours autorisée – pour être plus précis, encore encouragée – aux Etats-Unis est la discrimination à l’endroit des employés du gouvernement fédéral, en particulier dans les activités relevant de la protection sociale. Nous avons de grandes bureaucraties d’entreprises privées, regorgeant de bureaucrates d’entreprise, mais ces gens-là sont bons. La bureaucratie publique et les fonctionnaires sont mauvais.

En fait, les Etats-Unis disposent d’une fonction publique de qualité, servie par des agents compétents et dévoués, honnêtes dans leur quasi-totalité, et peu enclins à se laisser surfacturer des clés à molette, des ampoules électriques, des machines à café et des sièges de toilettes par les fournisseurs. Curieusement, quand de telles turpitudes se produisirent, ce fut au Pentagone... Nous avons presque éliminé la pauvreté chez les personnes âgées, grandement démocratisé l’accès à la santé et aux soins, garanti aux minorités l’exercice de leurs droits civiques, et beaucoup fait pour l’égalité des chances en matière d’éducation. Voilà un bilan remarquable pour des gens réputés incompétents et inefficaces. Force est donc de constater que la condamnation actuelle de toute action et administration gouvernementales est en réalité l’un des éléments d’un dessein plus vaste : refuser toute responsabilité à l’égard des pauvres.

La deuxième méthode s’inscrivant dans cette grande tradition séculaire consiste à expliquer que toute forme d’aide publique aux indigents serait un très mauvais service à leur rendre. Elle détruit leur moral. Elle les détourne d’un emploi bien rémunéré. Elle brise les couples, puisque les épouses peuvent solliciter des aides sociales pour elles-mêmes et leurs enfants, une fois qu’elles se retrouvent sans mari. Il n’existe absolument aucune preuve que ces dommages soient supérieurs à ceux qu’entraînerait la suppression des soutiens publics. Pourtant, l’argument selon lequel ils nuisent gravement aux déshérités est constamment ressassé, et, plus grave, cru. C’est sans doute la plus influente de nos fantasmagories.

Troisième méthode, liée à la précédente, pour se laver les mains du sort des pauvres : affirmer que les aides publiques ont un effet négatif sur l’incitation à travailler. Elles opèrent un transfert de revenus des actifs vers les oisifs et autres bons à rien, et, de ce fait, découragent les efforts de ces actifs et encouragent le désœuvrement des paresseux. L’économie dite de l’offre est la manifestation moderne de cette thèse. Elle soutient que, aux Etats-Unis, les riches ne travaillent pas parce que l’impôt prélève une trop grande part de leurs revenus. Donc, en prenant l’argent des pauvres et en le donnant aux riches, nous stimulons l’effort et, partant, l’économie. Mais qui peut croire que la grande masse des pauvres préfère l’assistance publique à un bon emploi ? Ou que les cadres dirigeants des grandes entreprises – personnages emblématiques de notre époque – passent leur temps à se tourner les pouces au motif qu’ils ne sont pas assez payés ? Voilà une accusation scandaleuse contre le dirigeant d’entreprise américain, qui, de notoriété publique, travaille dur.

La quatrième technique permettant de se soulager la conscience est de mettre en évidence les effets négatifs qu’une confiscation de leurs responsabilités aurait sur la liberté des pauvres. La liberté, c’est le droit de dépenser à sa guise, et de voir l’Etat prélever et dépenser le minimum de nos revenus. Ici encore, le budget de la défense nationale mis à part. Pour reprendre les propos définitifs du professeur Milton Friedman (1), « les gens doivent être libres de choisir ».

C’est sans doute la plus révélatrice de toutes les arguties, car quand il s’agit des pauvres, on n’établit plus aucune relation entre leurs revenus et leur liberté. (Le professeur Friedman constitue une fois de plus une exception car, par le biais de l’« impôt négatif », qu’il recommande, il garantirait un revenu universel minimum.) Chacun conviendra pourtant qu’il n’existe pas de forme d’oppression plus aiguë, pas de hantise plus continue que celles de l’individu qui n’a plus un sou en poche. On entend beaucoup parler des atteintes à la liberté des plus aisés quand leurs revenus sont diminués par les impôts, mais on n’entend jamais parler de l’extraordinaire augmentation de la liberté des pauvres quand ils ont un peu d’argent à dépenser. Les limitations qu’impose la fiscalité à la liberté des riches sont néanmoins bien peu de chose en regard du surcroît de liberté apporté aux pauvres quand on leur fournit un revenu.

Enfin, quand tous les raisonnements précédents ne suffisent plus, il reste le déni psychologique. Il s’agit d’une tendance psychique qui, par des biais variés, nous conduit par exemple à éviter de penser à la mort. Elle amène beaucoup de gens à éviter de penser à la course aux armements, et donc à la ruée vers la probable extinction de l’humanité. Le même mécanisme est à l’œuvre pour s’épargner de penser aux pauvres, qu’ils soient en Ethiopie, dans le sud du Bronx ou à Los Angeles. Concentrez-vous sur quelque chose de plus agréable, nous conseille-t-on alors.

Telles sont les méthodes auxquelles nous avons recours pour éviter de nous préoccuper du sort des pauvres. Toutes, sauf peut-être la dernière, témoignent d’une grande inventivité dans la lignée de Bentham, Malthus et Spencer. La compassion, assortie d’un effort de la puissance publique, est la moins confortable et la moins commode des règles de comportement et d’action à notre époque. Mais elle reste la seule compatible avec une vie vraiment civilisée. Elle est aussi, en fin de compte, la règle la plus authentiquement conservatrice. Nul paradoxe à cela. Le mécontentement social et les conséquences qu’il peut entraîner ne viendront pas de gens satisfaits. Dans la mesure où nous pourrons rendre le contentement aussi universel que possible, nous préserverons et renforcerons la tranquillité sociale et politique. N’est-ce pas là ce à quoi les conservateurs devraient aspirer avant tout ?

(Ce texte a été publié pour la première fois dans le numéro de novembre 1985 de Harper’s Magazine.)

John Kenneth Galbraith: Economiste. Auteur du Nouvel Etat industriel, Gallimard, Paris, 1968, et des Mensonges de l’économie, Grasset, Paris, 2004.
source : Le Monde Diplomatique

5.3.06

La fin des limbes ?

L’Eglise catholique a-t-elle l’intention de laisser les limbes sombrer dans l’oubli ? C’est en tout cas la proposition qu’étudie la Commission théologique internationale, groupe de réflexion permanent du Vatican composé de 30 théologiens de toutes origines chargés d’examiner des problèmes de doctrine. “L’existence des limbes n’a jamais fait partie de l’enseignement officiel de l’Eglise”, dit Pierre Gaudette, membre de la Commission et secrétaire général de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec. “La Bible n’en fait nulle part mention.”

En fait, les limbes sont une invention bien humaine. Le baptême étant essentiel dans la religion catholique pour laver du péché originel et ouvrir les portes du Ciel, d’innocents nourrissons morts sans baptême se retrouvaient en enfer. Gênante contradiction pour une religion qui se réclame d’un Dieu infiniment miséricordieux… Des théologiens du XIIe siècle ont donc créé cette espèce de no man’s land entre le ciel et l’enfer, exempt de toute souffrance mais où les âmes restaient éternellement privées de Dieu. Cette “hypothèse théologique” (comme l’appelle Benoît XVI) devient toutefois de moins en moins pertinente, poursuit Pierre Gaudette. “Cette imagerie du Moyen Age ne colle plus vraiment à notre vision du monde et heurte notre sens de la justice.” La Commission théologique espère terminer sa réflexion d’ici à l’année prochaine. Elle soumettra alors son avis à la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui décidera de le rendre public ou non. Amen.
source: Louise Gendron L'Actualité, Montréal

4.3.06

Petits bras

Non seulement ça rend sourd, mais en plus c’est 400 fois moins bien. L’orgasme n’a pas les mêmes effets hormonaux selon qu’il résulte de la masturbation ou du coït. Stuart Brody, de l’université de Paisley, et Tillmann Krüger, de l’Institut fédéral suisse de technologie à Zurich, ont comparé les taux de prolactine libérés dans le sang chez des bénévoles hommes et femmes qui regardaient des films érotiques avant de se masturber ou d’avoir un rapport sexuel. Le niveau de prolactine, cette hormone qui donne un sentiment de satiété après l’activité sexuelle, est 400 fois plus élevé en cas d’accouplement.

Source: New Scientist, Londres via Courrier International - n° 800 - 2 mars 2006

3.3.06

Un blog à la page

Ce serait un peu l'aboutissement pour tout bloggeur assidu : tenir entre ses mains un exemplaire imprimé de son journal ou site tenu en ligne. La société californienne Blurb compte bien répandre cet usage : elle se charge de transformer le contenu de votre blog en véritable ouvrage de papier. Livre photos, essai de poésie ou encore livre de cuisine, il y en a vraiment pour tous les goûts. Une inscription (gratuite) est nécessaire afin de télécharger le logiciel d'application. Le service est en version Beta. Son coût ? A partir de 30 dollars, avec couverture personnalisée. Peut-être bien le prix à payer pour être définitivement à la page !
http://www.blurb.com/

2.3.06

Web 2.0 : Le « Cinquième pouvoir »

Jouons aux indiens...

Il faudrait ne jamais s'imposer la moindre réponse, éviter toute certitude conforme et pourtant nous vivons la plupart du temps sur des préjugés et des idées toutes faites, dans un rapport convenu et appliqué au monde et aux autres. Toute expérience reste conditionnante et ce que nous reconnaissons implique une association avec le passé. Loin de ce processus additif standard, comment s'affranchir de toute polution mémorielle de ce déterminisme cognitif. Comment parvenir à un état de virginité informationnelle ?

L'autorité médiatique n'existe pas en soi et on sous-estime toujours l'intelligence critique des publics. Les médias tirent leur légitimité de la confiance que le public leur accorde, et la « marchandisation » a distendu ce lien de confiance. Face à cette industrie de l'informations et des médias, ne doit-on pas revendiquer une forme de désobéissance civile ? devenir des objecteurs de conscience, des faucheurs volontaires d'OGM (opinion globalement manipulée), jouer aux indiens et retrouver en nous le Ghandi qui sommeille, reconquerir un Larzac virtuel, cette attitude rebelle consistant à ne rien prendre pour acquis et définitif. Telle une posture à la Descarte, douter systématiquement de toute affirmation, de toute information, avec méthode et sans supercherie.

« L’intelligence est l’aptitude à s’aventurer dans l’incertain, l’ambigu,l’aléatoire, en recherchant et utilisant le maximum de certitudes, de précisions, d’informations. L’intelligence est la vertu d’un sujet qui ne se laisse pas duper par les habitudes, craintes, souhaits subjectifs. C’est la vertu de ne pas se laisser prendre aux apparences. C’est la vertu qui se développe dans la lutte permanente contre l’illusion et l’erreur... ». Cette citation d’Edgar Morin pourrait avantageusement résumer l’esprit de ce billet.

Bataille du contenu sur fond de guerre économique

En démocratie, il n'y a en principe que trois pouvoirs, l'exécutif, le législatif et 1e judiciaire. Les médias constituent un contre-pouvoir qui informe et qui critique. Les journalistes et les médias ont souvent considéré comme un devoir majeur de dénoncer les violations des droits. Pourtant comme le souligne Dominique Wolton, à force de côtoyer le pouvoir, l'« élite médiatique » a tendance à s'identifier à lui et à « confondre la lumière qu'elle fait sur le monde avec la lumière du monde ».

Dans une société avec un espace public ouvert, les médias doivent refléter l'hétérogénéité du monde, faciliter l'accès à tous les sujets de société, expliquer de la manière la plus simple possible
des problèmes de plus en plus compliqués. Mais c' est loin d'être le cas. Le plus souvent les médias ne traitent qu'une partie de la réalité, un reflet des choses.

Si la radio puis la télévision, fûrent des espaces de liberté et des facteurs indéniables de démocratie, l'autorité a basculé dangereusement du côté des médias qui semblent tenir dans leur main les pouvoirs politiques (affaire Clearstream), scientifique ou religieux. Ce « quatrième pouvoir» ne serait-il pas aujourd'hui devenu un mythe, ou une illusion ?

Une métamorphose décisive s'est produite dans le champ des médias de masse (radio, presse écrite, chaînes de télévision, Internet) qui se regroupent de plus en plus au sein d’architectures
foisonnantes pour constituer des groupes médiatiques à vocation mondiale. Le pouvoir véritable est désormais détenu par un faisceau de groupes planétaires et d’entreprises globales
rassemblant en leur sein tous les médias classiques mais égalementl'ensemble des activités des secteurs de la culture de masse, de l'informatique et des technologies, de la communication
et de l’information..

Les dernières rumeurs de Wall Street évoquent la possibilité d'un rachat de Disney par le fabricant d'ordinateurs Apple... les opérateurs télécoms fournissent du contenus, marchant sur les plates-bandes des groupes de médias, qui lancent à leur tour des offres de téléphonie mobile... Ce sont eux les « nouveaux maîtres du monde » eux qui conjuguent convergence avec croissance.

Dans ce contexte de guerre économique, la banalisation de l’information et de la connaissance a ébranlé les structures traditionnelles. Toutes les sociétés sont déstabilisées par un nouveau paradigme : l’information est une matière première facteur de compétitivité. Pour autant, en raison de son explosion, de sa multiplication, de sa surabondance, l’informationse trouve bien
souvent contaminée, empoisonnée par toute sorte de mensonges, polluée par les rumeurs, par les déformations, les distorsions, les manipulations.

Dans la nouvelle guerre idéologique qu’impose la mondialisation, les médias sont utilisés comme une arme de combat. La course pour la possession de données stratégiques a déjà commencé :
positionnement, identités, calendriers d’événements, identifiants de produits… Dans bien des cas, là où il y a un coût pour construire une base de données, il y a l’opportunité de créer un
support pour des services à valeur ajoutée avec une source unique de données. Souvent, le gagnant sera la société qui atteindra la première une masse critique de données par agrégation des utilisateurs et convertira cet avantage en services.

Web 2.0: L'imposture citoyenne

Tout va très vite, les images sont de plus en plus nombreuses. Voici que le mythe de la convergence entre technologies, médias et télécoms semble enfin devenir réalité. La « révolution numérique » a brisé les frontières qui séparaient auparavant les trois formes traditionnelles de la communication : son, écrit, image.

Les internautes aussi ont changé. Plus nombreux, connectés en haut débit, ils s'impliquent de plus en plus dans la création de «leur» réseau: ils ne se contentent plus de lire, mais publient aussi des données. L'arrivée à maturité des technologies XML et une meilleure compréhension des principes fondateurs du web transforment la Toile en un gigantesque réseau de sources
d'information structurées et de services.

Nouveau système de gestion de contenu collaboratif (wiki), pages personnelles (blogs), nouvelles communautés (blogosphère),nouveaux outils de recherche, nouvelle indexation et nouveau mode de référencement (« tagging »), concept que certains appellent « folksonomy » (qu’on pourrait traduire par « classement par les gens » pour contraster avec « taxonomy », «classement standard »), nouvelle arborescence « le web incrémental » qui repose sur la
syndication et l'aggrégation de contenu (flux RSS),... les technologies qui sont à la base de ce Web version 2.0 ne sont pas récentes. C'est leur convergence (« innovation par l’assemblage ») qui est nouvelle, répondant au besoin accru d'interactivité des internautes. Si l’état d’esprit web 2.0 n’hésite pas à réutiliser l’existant, les produits intégrant et assemblant ses nouveaux services dérivés utilisent un mode de propagation singulier, d’utilisateur unique à utilisateur unique. Leur adoption est guidée par le seul « marketing viral ».Le principe central du web 2.0, reste qu’il sait exploiter de manière encore plus efficace que son ancêtre la force de l’intelligence collective que recèle potentiellement le web.

Le journalisme citoyen en ligne (comme AgoraVox.fr en France) , est un mouvement qui fait de milliers d'internautes les premiers reporters d'évènements et souvent les meilleurs commentateurs. Comme l'explique Dan Gillmor, gourou du journalisme citoyen aux Etats-Unis, lorsqu'un rédacteur écrit un article sur Internet, il est toujours certain que des lecteurs seront mieux informés que lui. Le journaliste, spécialiste de tout mais expert en rien, se trouve confronté aux réponses immédiates de milliers d'experts dans les sujets qu'ils traitent. On connait l'importance des expert pour les médias traditionnels qui pour garder leur part de marché, multiplient leurs interventions. Ces derniers sont devenus les jokers de l'audimat, les deus ex-machina des médias, au risque d'être décrédibilisés et de remettre en cause le statut de la connaissance.

Les journalistes traditionnels sont habitués à une information monodirectionnelle, d'eux vers le lecteur. Les journalistes citoyens au contraire, veulent engager des conversations et attendent de leurs lecteurs qu'ils les instruisent davantage. La relation entre le rédacteur et l'auteur, et la manière d'aborder le journalisme, s'en trouvent totalement bouleversées.

Grâce au réseau, les internautes deviennent eux-mêmes producteurs et distributeurs (de contenus ou d'information) et les producteurs et distributeurs traditionnels perdent la concentration qui assurait leur monopole. Le « piratage distribué » (P2P) sur Internet et le journalisme citoyen sont au fond deux sujets extrêmement proches dans leurs causes et dans leurs conséquences. Là où une dizaine de quotidiens au plus diffusent toute l'information, la blogosphère se compose de millions d'internautes qui témoignent, informent, et analysent. Le monopole des grands journaux, des radios et des télévisions se trouve menacé par cette
déconcentration de l'offre informationnelle. Mais tous ces grands medias tardent à faire l’amer constat qu’ils sont en compétition contre la blogosphère dans son ensemble. Il ne s’agit pas juste
d’une guerre entre des sites mais entre des modèles économiques.

Le monde du web 2.0 est aussi le monde que l'évangéliste américain Dan Gillmor désigne par l’expression « nous, les médias », un monde dans lequel ceux qui n’étaient jusque là qu’auditeurs reprennent à quelques personnes réunies dans une arrière-salle le pouvoir de choisir ce qui est important ou non.

De même que la montée du logiciel propriétaire a conduit au mouvement du logiciel libre, il est envisageable de voir le mouvement « des données libres » s’opposer peu à peu à l’univers
des données propriétaires. Et si il fallait, tout simplement, créer un « cinquième pouvoir ». Un « cinquième pouvoir » qui nous permette d’opposer une force civique citoyenne à la coalition des
dominants. Un « cinquième pouvoir » dont la fonction serait de dénoncer le superpouvoir des médias, des grands groupes médiatiques, complices et diffuseurs de la globalisation libérale.

Argent trouble pour agent double

L' AFP présentait le mardi 7 février 2006 à 18h32 un appel d'offre des services secrets russes pour des agents doubles... : Le FSB, les services spéciaux russes, ont publié sur leur site internet une offre d'emploi s'adressant aux espions étrangers, à qui ils proposent de devenir agent double tout en gardant leur salaire. Donnant le numéro du "téléphone de confiance" du FSB et son adresse mail, l'ex-KGB va droit au but: "les citoyens russes collaborant avec les services de renseignements étrangers peuvent appeler le FSB en utilisant le téléphone de confiance pour devenir agents doubles. Dans ce cas, les honoraires reçus par de tels agents des services étrangers spéciaux leur seront acquis et ils travailleront avec des agents du FSB du plus haut niveau", indique l'annonce . Celle-ci garantit aux éventuels intéressés "l'anonymat et la confidentialité".

Le FSB a pourtant de son coté mis fin à l'activité de 26 de ses collaborateurs "retournés" et de 67 agents de services secrets étrangers, selon son porte-parole, Sergueï Ighnatchenko. Il annonçait également aux journalistes le 23 janvier, que le FSB avait découvert un dispositif d'espionnage électronique dissimulé par les services secrets britanniques. Cette découverte avait aboutit à confondre quatre espions de sa majesté opérant à Moscou sous couverture diplomatique et finançant certaines organisations non gouvernementales russes. Au sujet de cette 'affaire', le président russe, Vladimir Poutine, ancien directeur des services secrets en 1998 et 1999, a déclaré hier devant les dirigeants du FSB que "les services secrets doivent veiller à ce que les ONG fonctionnent sans entraves et empêcher leur utilisation pour s'ingérer dans les affaires intérieures de la Russie".

Ce même FSB rompt décidément avec le silence ; En décembre dernier, son directeur, Nikolaï Patrouchev, avait annoncé aux dirigeants de presse russes qu'au cours d'opérations spéciales "plus de 300 terroristes ayant opposé une résistance armée avaient été abattus", parmi eux des chefs de bande, des représentants d'Al-Qaïda et des organisateurs de réseaux religieux extrémistes clandestins. La encore, ces propos ont été confortés hier par le président russe aux dirigeants du FSB : "Il faut frapper de manière ciblée au bon endroit, dans chaque caverne, il faut chercher ces cavernes et exterminer comme des rats les terroristes qui s’y cachent".

Le FSB courait-il après les 27 millions de dollars de la prime pour l'arrestation de Bin Laden ?

Interrogé par téléphone, le FSB s'est refusé à tout commentaire.

source AFP/ Moscou - mardi 7 février 2006, 18h32- FJB Blog

1.3.06

Etude clinique d'une epizootie ....

Pathologie des systèmes d'aide de l'état ou " Comment on peut, en mettant en place un système d'aide, entraîner un freinage de ce que l'on souhaite accélérer tout en faisant plaisir à tout le monde "

L'expérience administrative de Jean Michel Yolin l'a conduit à de nombreuses reprises a observer une pathologie particulièrement pernicieuse des systèmes d'aide, d'autant plus dangereuse qu'elle est a la fois toxique et euphorisante (1). Cette maladie, en général congénitale, étant très répandue, il lui a paru utile d'en faire une étude clinique reprise dans ce billet . Il ne lui a malheureusement pas été possible de proposer une thérapeutique efficace : bien souvent, la seule issue raisonnable envisageable est l'avortement quand il est encore temps et, sinon, l'euthanasie.

Le mécanisme du mal

L'Administration dépensière constate que telle ou telle évolution ne se produit pas au rythme souhaitable pour la collectivité (économie d'énergie, épuration de l'eau, automatisation, investissement... ) ; le rythme actuel des sommes qui y sont consacrées est de S, il faudrait passer à 1,5 S. Il est donc nécessaire de disposer pour cela d'une dotation budgétaire de 1,5 S x lambda (si lambda est le taux de subvention qui est considëré comme incitatif).

Après d'âpres et longues négociations (l'année budgétaire étant exceptionnellement difficile, comme tous les ans) l'arbitrage tombe : 2/3 S.lambda

Que se passe-t-il alors :

- 1. Pendant toute l'élaboration du système d'aide, les actions dans le domaine considéré ont été suspendues (les bénéficiaires potentiels, à juste titre, craignent que s'ils ont réalisé leur investissement avant la mise en place du système d'aide ils en seront exclus)
- 2. pendant l'instruction des dossiers, la poursuite de l'inaction continue de plus belle
- 3. comme 2/3 S.lambda est inférieur à S.lambda il y a 1/3 des dossiers qui ne sont pas retenus : (en supposant que les dossiers présents sont ceux qui se seraient fait tout seuls) bien souvent le promoteur du projet au sein de l'entreprise passe pour un incapable (au moins) et le projet est mis au placard. On en fait donc moins que sans système d'aide.
- 4. Le Budget est content : il a économisé 4/3 S.lamda au contribuable par rapport aux propositions manquants de rigueur (par définition) du service dépensier
- 5. le service dépensier est content puisqu'il peut afficher à son palmarès 2/3 S (puisqu'il a apporté une subvention à ces opérations c'est presque comme si c'était lui qui les avait réalisées) et il peut soutenir que l'on a fait un progres significatif (la situation de référence étant bien entendu l'inaction)
- 6. les bénéficiaires sont contents car ils ont touché des subventions de l'Etat pour des opérations qu'ils auraient de toute façon réalisées (dans la mesure bien entendu qu'ils touchent l'argent promis ce qui, il faut le reconnaître, n'est pas toujours le cas dans certaines procédures).

C'est ainsi que l'on arrive :

- à retarder ce que l'on cherche à accélérer
- à en faire moins que si l'on ne s'en était pas occupé
- à rendre tout le monde heureux.

Il n'est pas étonnant dans ces conditions de constater les ravages de la maladie d'autant plus graves que le diagnostic est porté tardivement : le malade étant persuadé d'être en bonne santé n'a pas tendance à se soigner.

(1) de récents échanges m'ont montré que cette maladie avait été diagnostiquée en dehors de la France : un cas a été signalé au niveau des aides CEE et le PCRD (programme cadre de recherche développement) est un cas extrême de pathologie administrative : voir l'article de JMY

source: Jean Michel Yolin http://yolin.net/