28.8.09

Le dilemme des Palestiniens qui construisent les colonies

« Difficile de décrire ce sentiment, c’est un très mauvais sentiment. Nous pouvons voir comment nous perdons notre terre, petit à petit » nous dit Hossam Hussein. « Je me sens comme un esclave » dit le Palestinien Musanna Khalil Mohammed Rabbaye, 21 ans

« Mais je n’ai pas d’alternative » ajoute-t-il, attendant sous un soleil brûlant avec une groupe d’hommes aux chaussures de travail poussiéreuses à l’extérieur de la colonie juive de Maale Adumim.

Cette phrase revient sans cesse quand les ouvriers du bâtiment essaient d’expliquer pourquoi ils passent leurs journées avec le marteau et la pelle pour aider à construire les implantations juives grignotant les terres qu’ils veulent destinées à un futur Etat palestinien.

M. Rabbaye veut devenir journaliste et essaie de financer ses études.

Jaffar Khalil Kawazba, 24 ans, dit qu’il a la charge de ses 10 frères et sœurs, son père étant trop malade pour travailler. Fahd Sayara, 40 ans, essaie de financer un traitement pour son enfant handicapé.

« Je ne suis pas le seul » dit M. Rabbaye ; « tout mon village travaille dans les colonies ».

« Tout, toutes les colonies - et même le plus gros du Mur - a été construit pas des Palestiniens » dit-il en se référant à la barrière détestée des Palestiniens qu’Israël construit et qui serpente parfois loin dans la Cisjordanie, selon les Israéliens afin de stopper les attaques contre ses citoyens.

Les colonies en Cisjordanie occupée par Israël sont illégales selon le droit international.

L’Autorité Palestinienne refuse de négocier sauf si Israël tient compte de la pression des USA pour cesser toute construction dans les colonies.

Israël dit qu’il veut continuer à construire, au moins pour fournir des logements destinés à la « croissance naturelle » de la population de 450.000 colons juifs en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est.

Manque d’emplois

Mais avec quelque 30% de Palestiniens sans emploi en Cisjordanie et des salaires moyens inférieurs de moitié aux salaires israéliens minimum, le travail du bâtiment attire les Palestiniens dans les colonies.

Environ 12.000 ouvriers du bâtiment palestiniens reçoivent chaque année des permis de travail israéliens pour travailler dans les colonies.

« Nous ne le tolérons pas, nous voudrions qu’ils arrêtent » dit Bassam Khoury, ministre des Finances de l’Autorité Palestinienne.

« Mais humainement, je ne peux pas leur dire ‘crève de faim’ alors que je ne suis pas capable de leur fournir un emploi » dit-il.

L’économie cisjordanienne dépend fortement de l’aide humanitaire, entravée depuis longtemps par les postes de contrôle, les barrages et autres restrictions dont Israël dit qu’elles sont destinées à la sécurité de ses citoyens.

M. Khoury dit que tout cela est principalement destiné à protéger les colonies.

« La première chose que nous devons faire c’est d’arrêter les colonies, les faire cesser rompra les entraves que les Israéliens imposent à l’économie palestinienne et par conséquent nous ferons redémarrer l’économie palestinienne et ainsi nous pourrons trouver es emplois pour ces gens » explique-t-il.

Mais les Israéliens, qui ces derniers mois ont rendu moins difficiles plusieurs postes de contrôle, dans le cadre de ce qu’ils appellent la « paix économique », accusent les Palestiniens de ne pas coopérer pour attirer les investissements.

Et certains ouvriers palestiniens blâment leurs propres dirigeants. M. Rabbaye dit simplement : « Notre Président devrait nous donner des emplois ».

Des salaires très bas

Les ouvriers palestiniens « seront les premiers atteints » si la construction cesse, dit le marchand Meir Levi en feuilletant les projets multicolores de villas familiales à 5 chambres.

Aucun nouveau projet n’a été approuvé, dit-il, et les prix ont déjà grimpé de 10 à 15% ces trois derniers mois car les acheteurs prévoient une réduction de l’offre.

M. Levi travaille dans la construction depuis vingt ans et il se souvient des jours où des dizaines de milliers d’ouvriers venaient de la bande de Gaza et de Cisjordanie pour construire des maisons en Israël.

« Le salaire était très bon, ils avaient l’habitude de construire leur maison, d’avoir une voiture, de bien faire progresser leur famille » dit-il.

Mais depuis que l’Intifada, déclenchée en 2000, a entraîné une vague d’attentats-suicides palestiniens, le nombre d’ouvriers autorisés à travailler en Israël a dégringolé, de même que les salaires qui leur sont payés.

« A présent le prix est très bas » dit-il. « Ils ont payés 150 shekels la journée, mais je me souviens que dans les années ’90 je payais 200 shekels pour un simple ouvrier ».

Plusieurs des ouvriers que j’ai interviewés disent être payés moins encore - 100 ou 110 shekels (26 - 29$) par jour, soit moins du salaire israélien minimum de 150 shekels (40$).

Depuis une décision de la Cour suprême de 2007, le droit israélien s’applique aux Palestiniens travaillant dans les colonies.

Salwa Alenat, une syndicaliste arabe israélienne de l’organisation Kav LaOved, dit que payer les ouvriers au-dessous du salaire minimum est illégal - même si dans bien des cas ils sont embauchés via une chaîne de sous-traitants, quelquefois des firmes palestiniennes basées en Cisjordanie.

« Il n’y a pas de mise en application. C’est comme une jungle ... l’employeur peut payer ce qu’il veut, le sous-traitant peut obtenir ce qu’il veut, et les ouvriers sont les perdants » dit Mme Alenat.

Les autorités israéliennes disent que les Palestiniens ont des réparations via les tribunaux et que peu de plaintes ont été déposées.

Mais selon Mme Alenat, ils craignent de perdre leur emploi ainsi que leur permis de travail, qui sont souvent obtenus via les sous-traitants.

Alors, les ouvriers continuent à venir, et les colonies continuent à grandir - bien que beaucoup de gens croient que Maale Adumim finira en Israël lors d’un ultime accord de paix.

« Difficile de décrire ce sentiment, c’est un très mauvais sentiment - nous pouvons voir comment nous perdons notre terre, petit à petit » dit Hossam Hussein, 26 ans, en gâchant le mortier pour mettre la touche finale à une maison offrant une large vue de Jérusalem aux collines de la Mer Morte.

Tous les ouvriers à qui j’ai parlé disent qu’ils veulent un gel des constructions, même si cela implique la perte de leurs emplois, et même si aucun ne semble avoir clairement un plan de rechange.

Mais la plupart ne croient pas que cela puisse arriver.

« Nous devrions faire grève » dit M. Rabbaye.

Mais un ouvrier plus âgé lui répond du tac au tac : « Et alors, de quoi vivras-tu ? »


Source : BBC News - Info-Palestine.net

Des arbres artificiels contre le réchauffement climatique



Selon un rapport scientifique, la solution pour réduire le dioxyde de carbone présent dans l'air pourrait passer par des «arbres» fabriqués par l'homme.

Les éoliennes vont-elles bientôt avoir de nouveaux voisins ? Dans un rapport de l'Institut britannique de mécanique avancée (IMechE), des scientifiques préconisent la mise en place d'arbres artificiels pour enrayer les émissions de gaz à effet de serre. Actuellement au stade de «prototypes très avancés», ces machines réaliseraient un mécanisme relativement simple. A travers un filtre, elles capteraient le dioxyde de carbone qui, une fois retraité, pourrait ensuite être stocké au fond des océans, où sa densité plus importante que l'eau lui permettrait de rester bloqué. Seuls 5% du gaz capté serviraient à alimenter la machine.

Inventeur de ce projet, le professeur Klaus Lackner, éminent professeur de l'université de Columbia, affirme qu'un seul arbre synthétique ferait disparaître bien plus de dioxyde de carbone qu'un arbre végétal. Selon des estimations, la quantité de CO2 éliminée serait de 90.000 tonnes par an, soit l'équivalent des émissions de plus de 20.000 voitures. Et d'après le rapport de l'IMechE, 100.000 arbres artificiels suffiraient pour capturer toutes les émissions de logements, de transports et d'industries légères de la Grande-Bretagne. Les arbres pourraient être déployés à proximité de réserves de gaz ou de champs pétroliers pour utiliser les réseaux de circulation de gaz existants, ainsi qu'au bord des axes routiers pour faciliter la capture de CO2 provenant du trafic.

Les actions contre le réchauffement climatique dû au gaz carbonique répondent à deux catégories : la première consiste à réduire les émissions de CO2, la seconde à réduire le CO2 émis. Nouvelle science visant à lutter contre le changement climatique, la géo-ingénierie fait partie de la deuxième catégorie. Elle ne doit donc pas être considérée comme une «solution miracle» mais, disent les auteurs de l'étude, s'inscrire comme un complément idéal aux efforts menés contre la production de dioxyde de carbone et ses effets sur la planète.

Coût évoqué : 13.600 euros par arbre
La grosse inconnue réside évidemment dans la volonté que manifesteront les gouvernements à investir dans de tels projets. Car contrairement aux champs éoliens par exemple, l'investissement placé dans ces arbres artificiels représenterait une perte économique nette, au «seul» gain écologique. Selon le professeur Lackner, le coût unitaire d'un arbre artificiel serait d'environ 12.000 livres (13.600 euros). En présentant leur dernière étude, les scientifiques de l'IMechE ont d'ores et déjà appelé le gouvernement britannique à investir immédiatement 10 millions de livres (11,3 millions d'euros), afin que ces projets de géo-ingénierie puissent aboutir un jour.


DOCUMENT PDF - Le rapport intégral de l'IMechE (en anglais)

Source : Bastien Hugues (lefigaro.fr)

26.8.09

Comment Internet transforme les habitudes de lecture

Les chercheurs lisent plus d'articles mais passent moins de temps dessus. Pour classer la somme colossale de connaissances produites chaque jour, ils utilisent des nouvelles bases de données qui préfigurent l'Internet de demain.

En ouvrant les vannes de l'information à l'échelle planétaire, Internet a complètement modifié certaines façons de lire. Les changements sont déjà perceptibles mais ils sont loin d'être terminés si l'on en croit l'étude qu'Allen Renear et Carole Palmer, de l'université de l'Illinois, consacrent aux nouvelles stratégies de lecture des chercheurs (Science, 14 août 2009). En effet, les scientifiques sont souvent des précurseurs. Les outils qu'ils utilisent dans leur travail trouvent souvent de nombreuses applications dans la vie de tous les jours. Le meilleur exemple est celui d'Internet lui-même qui a été inventé en 1989 par le physicien britannique Tim Berners-Lee alors qu'il se trouvait au Cern, l'organisation européenne pour la recherche nucléaire.

Premier constat d'Allen Renear et de Carole Palmer, la mise en ligne de la quasi-totalité des revues scientifiques dès 2003 et l'utilisation systématique des moteurs de recherche ont eu un impact immédiat et mesurable. Les chercheurs lisent plus d'articles qu'avant mais, comme ils passent moins de temps à lire, cela veut dire qu'ils le font de plus en plus vite. Autrement dit, ils surfent et zappent comme tous les utilisateurs d'Internet. Carol Tenopir, de l'université du Tennessee, a calculé qu'en 2005 les scientifiques lisaient 50 % d'articles de plus qu'au milieu des années 1990, au début d'Internet. Durant la même période, le temps moyen de lecture d'un article est passé de 47 minutes à 30 minutes.

Autre changement repéré par Carol Tenopir, les chercheurs passent quatre fois plus de temps qu'en 1977 à rechercher dans la littérature scientifique les informations susceptibles de les intéresser. Rien d'étonnant à cela car Internet a fait exploser le nombre de publications scientifiques. En effet, c'est moins cher et plus rapide de mettre en ligne une étude en format pdf que de la diffuser sur support papier.

«On fait l'inverse de ce qu'on faisait avant»

Mais le déluge d'informations est encore amplifié par le fait que chaque chercheur est évalué sur le nombre d'études qu'il publie, selon la formule anglaise publish or perish (publier ou périr). Les chercheurs ne peuvent plus suivre tout ce qui sort. Résultat, ils sont de plus en plus obligés de lire en diagonale. Ils sautent d'un document à l'autre et n'arrêtent pas de cliquer à toute allure. «Ils font un peu comme dans les jeux vidéo basés sur la vitesse», expliquent Allen Renear et Carole Palmer. Ils jettent un coup d'œil au titre puis, très vite, s'il retient leur attention, ils vont au résumé ou aux figures, etc.

Tous ces repères leur permettent finalement de ne pas avoir à lire, comme l'explique avec un brin de provocation Allen Renear. «En surfant, ils ont d'ailleurs toujours plusieurs objectifs en tête.» Ils peuvent rechercher des informations pour savoir ce que font leurs concurrents et où ils en sont. Ce type de «descente» dans la littérature scientifique est facilité par le fait qu'il existe des sites Internet où les études en ligne sont archivées au jour le jour. C'est le cas de Medline dans le domaine de la recherche biologique et biomédicale (17 millions d'articles), tenu à jour par la Bibliothèque de médecine des États-Unis.

Mais la véritable innovation est ailleurs. En effet, plutôt que de s'en remettre à Google pour pouvoir trouver rapidement des informations sur un objet précis dans une discipline donnée, les scientifiques ont mis en place ce qu'on appelle des ontologies. Il s'agit en fait d'immenses bases de données structurées sur le modèle des arborescences utilisées en informatique. «Ce sont des systèmes de classement hiérarchisés où chaque objet est décrit par un terme bien défini», explique Évelyne Duvernois, bio-informaticienne à l'Inra (Versailles). Les études étant référencées en annexe de chaque objet, elles ne sont plus la première source d'informations comme c'était le cas sous le règne du papier. «Maintenant on cherche l'info et on complète par la lecture. On fait l'inverse de ce qu'on faisait avant.»

Plusieurs disciplines ont déjà leur ontologie. La plus importante est sans nul doute Gene Ontology ou l'ontologie des gènes. Elle archive et intègre au jour le jour toutes les informations nouvelles venues des laboratoires du monde entier et concernant les gènes humains, les protéines, leurs fonctions et les processus biologiques. Gene Ontology est devenue une source d'informations indispensable pour tous les biologistes et pas seulement les bio-informaticiens. Cette mise en commun du savoir est gérée collectivement par la communauté scientifique du monde entier qui respecte avec scrupule tous les codes établis. C'est la condition sine qua non pour sa pérennité. Ce monde bien ordonné fonctionne selon la logique d'Internet. Plusieurs initiatives concurrentes au départ, et à la fin c'est le meilleur qui s'impose.

«L'utilisation des ontologies va devenir de plus en plus nécessaire pour parvenir à gérer le déluge d'informations sur Internet», assure Allen Renear. Elles peuvent se développer dans tous les domaines, aussi bien les recettes de cuisine, le cinéma que la construction.»

Source : Le Figaro - Yves Miserey

Internet m'a-t-il rendue plus bête ?

Pivée d'Internet, je passe un temps fou à parcourir les quotidiens, à feuilleter les magazines et à dévorer les féminins, sous les regards outrés des kiosquiers. En dehors des sempiternelles couvertures consacrées aux régimes miracles et aux vacances des politiques, une question semble obséder une partie de la presse : Internet nous a-t-il rendus plus bêtes ?

Mission n° 2 : Essai d'appréhension critique de sa propre bêtise
De toute évidence, l'usage quotidien d'Internet a bouleversé nos manières de penser. Le cerveau est un organe éminemment adaptable. Investi par le Web, il a sans aucun doute changé. Mais comment ? Sommes-nous vraiment plus sots que nos aînés ? Internet nous a-t-il transformés en zappeurs compulsifs ? Avons-nous troqué le savoir vrai contre l'illusion fallacieuse de l'immédiateté ? Plus nombrilistes, sommes-nous devenus plus médiocres ? Autant de questions que j'ai désormais largement le temps de me poser.

Depuis la parution en 2008 dans The Atlantic d'un article de l'essayiste et blogueur américain Nicholas Carr, la polémique n'en finit pas de rebondir sur la Toile. "Le Net, écrit Nicholas Carr, diminue apparemment ma capacité de concentration et de réflexion. Mon esprit attend désormais les informations selon la façon dont le Net les distribue : comme un flux de particules s'écoulant rapidement. Auparavant, j'étais un plongeur dans une mer de mots. Désormais, je fends la surface comme un pilote de jet-ski."

Pourtant, le QI, dans tous les pays qui le mesurent, est en hausse constante depuis les années 1930. A en croire les résultats de ces tests, nos facultés cognitives fondamentales, comme notre aptitude à penser de manière logique et critique ou nos capacités d'analyse et de raisonnement, n'ont pas été affectées par l'apparition du Réseau. Elles s'en trouveraient même améliorées.

D'après Dan Tapscott, auteur de Grown Up Digital, les enfants du Net possèdent des compétences que leurs parents n'ont pas. "Les natifs numériques" sont plus aptes à travailler en commun, "plus malins, plus rapides et plus ouverts à la diversité". Il relève également que "les habitués des jeux vidéo remarquent plus de choses" et "ont des compétences spatiales très développées, utiles aux architectes, aux ingénieurs et aux chirurgiens".

N'étant pas une fervente adepte de "World of Warcraft", le jeu en ligne le plus en vue, et distinguant péniblement ma droite de ma gauche, je ne me prononcerai pas sur ce dernier point. En revanche, je sais repérer les effets bénéfiques d'Internet sur mon rapport au savoir. Loin d'annihiler ma curiosité, la Toile l'a nourrie et amplifiée. Je peux passer des heures à me documenter sur un événement, un auteur ou une question de société. A force de naviguer, mon cerveau a gagné en plasticité. Je ne mémorise qu'une infime partie de ces informations, mais j'ai appris à les trier.

"Mon esprit, reprend notre blogueur polémiste, ne disparaît pas, je n'irai pas jusque-là, mais il est en train de changer. Je ne pense plus de la même façon qu'avant. C'est quand je lis que ça devient le plus flagrant. Auparavant, me plonger dans un livre ou dans un long article ne me posait aucun problème. (…) Désormais, ma concentration commence à s'effilocher au bout de deux ou trois pages. Je m'agite, je perds le fil, je cherche autre chose à faire."
Enfant de la télé, avant d'être une enfant du Web, j'ai toujours eu la zappette facile. Sans nuire directement à ma réflexion, cette manie affecte évidemment mes capacités de concentration. J'ai du mal à écrire quatre heures d'affilée sans consulter mes mails ou la "une" du Monde.fr. L'extension de Twitter sur Firefox s'affiche constamment au bas de mon écran. Je suis sans arrêt tentée de cliquer, perpétuellement distraite. Pis, je peux regarder trois fois de suite sans me lasser la parodie sur YouTube du clip de Bonnie Tyler, Total Eclipse of the Heart, qu'un ami a eu la mauvaise idée de me montrer.

Pourtant, aussi distractives soient-elles, je ne crois pas que ces pratiques de navigation nuisent à mes habitudes de lecture. En tout cas, elles ne m'ont pas empêchée de dévorer Dostoïevski, d'adorer Duras, Hesse ou Saint-Exupéry. Je parcours quotidiennement des dizaines de journaux en ligne et imprime chaque semaine (au grand désespoir de mes amis écologistes) des pages entières du New Yorker. Bien sûr, ce n'est pas la même chose de naviguer sur le Web et de s'oublier dans un livre. Peut-être faut-il croire Mark Bauerlein – professeur de littérature à l'université d'Emory aux Etats-Unis et auteur de La Génération la plus bête – lorsqu'il dit que les enfants du Net sont moins cultivés que la génération précédente. Il avance que leurs connaissances sont moins assises, leur attention diminuée. Cela n'en fait pas pour autant des ânes. Car, pour nous, Internet agit à la fois comme un poison et un remède. Il nous distrait autant qu'il nous stimule.

Les partisans fervents du 2.0 et les apôtres de la lecture "à l'ancienne" peuvent donc continuer à s'écharper. Ni la radio, ni la télé n'ont tué le livre et je doute qu'Internet m'ait rendue plus bête. Ce qui est sûr, c'est que le fait de m'en priver ne me rend pas plus heureuse.

Pour en savoir plus :

- Grown Up Digital. How the Net Generation is Changing Your World (Enfants de l'ère numérique. Comment la Net génération change votre monde), de Don Tapscott (MacGraw-Hill, 2008).
- Le mensuel Books a consacré un numéro spécial cet été à la question : "Internet nous rend-il encore plus bêtes ?"
- Un article de Télérama traite également du sujet dans l'édition du 22 juillet.


Source: Elise Barthet - Le Monde

11.8.09

"nous devons passer au capitalisme 2.0"

Le professeur Nassim Taleb, qui dénonce une économie trop spécialisée, préconise un système avec moins de dettes où les entrepreneurs prennent des risques mais pas les banquiers.

Vivons-nous une crise sans précédent ?

La crise n'a pas commencé car le système économique, pour devenir plus robuste, doit se transformer. On peut s'inspirer de l'exemple de la nature, qui est un système complexe qui a évolué de façon robuste. Dans la nature, si quelque chose est fragile, il se brise rapidement. Par ailleurs, la mort d'un gros mammifère n'affecte pas les autres. Avec les banques, c'est l'inverse. La doctrine du "too big to fail" [trop gros pour faire faillite, Ndlr] maintient en vie des institutions qui ne sont pas adaptées et la faillite d'une grosse banque peut avoir un impact considérable. La nature est basée sur la redondance organique et fonctionnelle. Nous avons deux yeux, deux poumons, deux reins, deux oreilles, deux testicules ou deux ovaires. On peut les considérer comme des pièces de rechange. De plus, un organe a généralement plusieurs fonctions. En revanche, l'économie est organisée de manière inverse. David Riccardo nous a enseigné qu'il fallait se spécialiser. C'est bien d'être spécialisé : cela nous rend plus efficace et tout le monde en profite sauf quand le produit de la spécialisation disparaît. La nature n'aime pas la spécialisation. Dans l'économie, la dette implique de supprimer les éléments redondants d'une entreprise. On gère au plus juste et on devient beaucoup plus fragile. On peut observer ce phénomène dans les entreprises qui ont été rachetées par fort endettement.

Le monde entier a été surpris par l'ampleur de la crise financière. Les économistes sont-ils vraiment utiles ?

Sur le million d'économistes que compte la planète, il n'y en a que quelques-uns qui ont compris ce qui se passait. Il y avait un éléphant au milieu de la salle et personne ne l'a vu. Si un pilote d'avion fait une erreur et provoque un crash, vous n'allez pas lui remettre un manche à balais dans les mains. Pour Ben Bernanke, le patron de la Fed, c'est pareil. Nous devons passer au capitalisme 2.0 en supprimant la financiarisation de l'économie. Nous devons aussi apprendre à ne plus utiliser les marchés financiers comme un moyen de stocker de la valeur. Enfin, on ne fait pas d'omelette sans casser d'œufs. Nous devons transformer la dette en fonds propres, interdire les achats par effet de levier sur la dette, supprimer le prix Nobel d'économie, reprendre les bonus à ceux qui nous ont conduits dans cette crise et laisser les entreprises qui ne sont pas assez robustes disparaître. En un mot, nous devons apprendre à vivre dans un monde où les entrepreneurs prennent des risques mais surtout pas les banquiers !

Ne fallait-il pas sauver les banques ?

Les traders ont fait des centaines de millions de dollars de profits pour des erreurs qui nous ont causé des milliards de dollars de pertes. Bob Rubin, ancien directeur du Trésor, ancien de Goldman Sachs et surtout ancien directeur de Citibank, a reçu un bonus de 120 millions de dollars alors que Citibank a perdu des dizaines de milliards. Finalement, l'ouvrier moyen a payé le bonus de ce monsieur. Le capitalisme ne doit pas fonctionner comme cela. Pas de capitalisme sans punition. Pas de bonus sans malus. Par ailleurs, les hedge funds ne sont pas responsables de la situation. Et quand un hedge fund saute, il n'embête personne. Quand une banque perd des dizaines de milliards de dollars, elle sollicite son gouvernement.

Que vous inspire le débat sur les bonus dans les banques ?

Les militaires nous protègent contre divers risques, dont les agressions extérieures, et pourtant, on ne leur paye pas de bonus. Il ne faut pas verser de bonus à quelqu'un qui gère le contrôle des risques d'une banque ou d'une société. Sinon, il va essayer de cacher le risque pour être sûr de toucher son bonus.

Les appels à plus de régulation seront-ils entendus ?

Nous n'avons pas besoin de plus de régulation. Les régulateurs nous ont amenés dans cette situation avec leurs pseudo-mathématiques financières charlatanesques. Ils nous ont fait prendre des risques que nous ne comprenions pas en pensant les comprendre. J'ai attaqué toute ma vie ces charlatans, comme Paul Malliavin qui m'avait insulté lors d'une présentation à l'École polytechnique. Il m'avait même demandé de quitter la salle. J'ai eu raison malgré tout et j'ai gagné énormément d'argent pendant la crise !

La technologie peut-elle être un rempart contre la crise ?

Nous vivons dans un monde qui présente beaucoup plus de valeurs extrêmes qu'il y a vingt ans. La technologie propage des rumeurs qui deviennent fort robustes et planétaires. L'Islande a été mise faillite en quelques heures par le BlackBerry. Qui dépend de la confiance des autres est trop fragile.

Bio express : Pour avoir expliqué longtemps avant la crise que les banques prenaient des risques qu'elles ne comprenaient pas, Nassim Taleb, expert en mathématiques financières, ancien trader et philosophe du hasard, est devenu un homme célèbre. Ses idées se répandent rapidement sur la planète à travers ses ouvrages, dont le dernier d'entre eux, le "Black Swan"( "Le Cygne noir") est traduit en une vingtaine de langues.

Source: La Tribune