Comment Internet transforme les habitudes de lecture
Les chercheurs lisent plus d'articles mais passent moins de temps dessus. Pour classer la somme colossale de connaissances produites chaque jour, ils utilisent des nouvelles bases de données qui préfigurent l'Internet de demain.
En ouvrant les vannes de l'information à l'échelle planétaire, Internet a complètement modifié certaines façons de lire. Les changements sont déjà perceptibles mais ils sont loin d'être terminés si l'on en croit l'étude qu'Allen Renear et Carole Palmer, de l'université de l'Illinois, consacrent aux nouvelles stratégies de lecture des chercheurs (Science, 14 août 2009). En effet, les scientifiques sont souvent des précurseurs. Les outils qu'ils utilisent dans leur travail trouvent souvent de nombreuses applications dans la vie de tous les jours. Le meilleur exemple est celui d'Internet lui-même qui a été inventé en 1989 par le physicien britannique Tim Berners-Lee alors qu'il se trouvait au Cern, l'organisation européenne pour la recherche nucléaire.
Premier constat d'Allen Renear et de Carole Palmer, la mise en ligne de la quasi-totalité des revues scientifiques dès 2003 et l'utilisation systématique des moteurs de recherche ont eu un impact immédiat et mesurable. Les chercheurs lisent plus d'articles qu'avant mais, comme ils passent moins de temps à lire, cela veut dire qu'ils le font de plus en plus vite. Autrement dit, ils surfent et zappent comme tous les utilisateurs d'Internet. Carol Tenopir, de l'université du Tennessee, a calculé qu'en 2005 les scientifiques lisaient 50 % d'articles de plus qu'au milieu des années 1990, au début d'Internet. Durant la même période, le temps moyen de lecture d'un article est passé de 47 minutes à 30 minutes.
Autre changement repéré par Carol Tenopir, les chercheurs passent quatre fois plus de temps qu'en 1977 à rechercher dans la littérature scientifique les informations susceptibles de les intéresser. Rien d'étonnant à cela car Internet a fait exploser le nombre de publications scientifiques. En effet, c'est moins cher et plus rapide de mettre en ligne une étude en format pdf que de la diffuser sur support papier.
«On fait l'inverse de ce qu'on faisait avant»
Mais le déluge d'informations est encore amplifié par le fait que chaque chercheur est évalué sur le nombre d'études qu'il publie, selon la formule anglaise publish or perish (publier ou périr). Les chercheurs ne peuvent plus suivre tout ce qui sort. Résultat, ils sont de plus en plus obligés de lire en diagonale. Ils sautent d'un document à l'autre et n'arrêtent pas de cliquer à toute allure. «Ils font un peu comme dans les jeux vidéo basés sur la vitesse», expliquent Allen Renear et Carole Palmer. Ils jettent un coup d'œil au titre puis, très vite, s'il retient leur attention, ils vont au résumé ou aux figures, etc.
Tous ces repères leur permettent finalement de ne pas avoir à lire, comme l'explique avec un brin de provocation Allen Renear. «En surfant, ils ont d'ailleurs toujours plusieurs objectifs en tête.» Ils peuvent rechercher des informations pour savoir ce que font leurs concurrents et où ils en sont. Ce type de «descente» dans la littérature scientifique est facilité par le fait qu'il existe des sites Internet où les études en ligne sont archivées au jour le jour. C'est le cas de Medline dans le domaine de la recherche biologique et biomédicale (17 millions d'articles), tenu à jour par la Bibliothèque de médecine des États-Unis.
Mais la véritable innovation est ailleurs. En effet, plutôt que de s'en remettre à Google pour pouvoir trouver rapidement des informations sur un objet précis dans une discipline donnée, les scientifiques ont mis en place ce qu'on appelle des ontologies. Il s'agit en fait d'immenses bases de données structurées sur le modèle des arborescences utilisées en informatique. «Ce sont des systèmes de classement hiérarchisés où chaque objet est décrit par un terme bien défini», explique Évelyne Duvernois, bio-informaticienne à l'Inra (Versailles). Les études étant référencées en annexe de chaque objet, elles ne sont plus la première source d'informations comme c'était le cas sous le règne du papier. «Maintenant on cherche l'info et on complète par la lecture. On fait l'inverse de ce qu'on faisait avant.»
Plusieurs disciplines ont déjà leur ontologie. La plus importante est sans nul doute Gene Ontology ou l'ontologie des gènes. Elle archive et intègre au jour le jour toutes les informations nouvelles venues des laboratoires du monde entier et concernant les gènes humains, les protéines, leurs fonctions et les processus biologiques. Gene Ontology est devenue une source d'informations indispensable pour tous les biologistes et pas seulement les bio-informaticiens. Cette mise en commun du savoir est gérée collectivement par la communauté scientifique du monde entier qui respecte avec scrupule tous les codes établis. C'est la condition sine qua non pour sa pérennité. Ce monde bien ordonné fonctionne selon la logique d'Internet. Plusieurs initiatives concurrentes au départ, et à la fin c'est le meilleur qui s'impose.
«L'utilisation des ontologies va devenir de plus en plus nécessaire pour parvenir à gérer le déluge d'informations sur Internet», assure Allen Renear. Elles peuvent se développer dans tous les domaines, aussi bien les recettes de cuisine, le cinéma que la construction.»
Source : Le Figaro - Yves Miserey
En ouvrant les vannes de l'information à l'échelle planétaire, Internet a complètement modifié certaines façons de lire. Les changements sont déjà perceptibles mais ils sont loin d'être terminés si l'on en croit l'étude qu'Allen Renear et Carole Palmer, de l'université de l'Illinois, consacrent aux nouvelles stratégies de lecture des chercheurs (Science, 14 août 2009). En effet, les scientifiques sont souvent des précurseurs. Les outils qu'ils utilisent dans leur travail trouvent souvent de nombreuses applications dans la vie de tous les jours. Le meilleur exemple est celui d'Internet lui-même qui a été inventé en 1989 par le physicien britannique Tim Berners-Lee alors qu'il se trouvait au Cern, l'organisation européenne pour la recherche nucléaire.
Premier constat d'Allen Renear et de Carole Palmer, la mise en ligne de la quasi-totalité des revues scientifiques dès 2003 et l'utilisation systématique des moteurs de recherche ont eu un impact immédiat et mesurable. Les chercheurs lisent plus d'articles qu'avant mais, comme ils passent moins de temps à lire, cela veut dire qu'ils le font de plus en plus vite. Autrement dit, ils surfent et zappent comme tous les utilisateurs d'Internet. Carol Tenopir, de l'université du Tennessee, a calculé qu'en 2005 les scientifiques lisaient 50 % d'articles de plus qu'au milieu des années 1990, au début d'Internet. Durant la même période, le temps moyen de lecture d'un article est passé de 47 minutes à 30 minutes.
Autre changement repéré par Carol Tenopir, les chercheurs passent quatre fois plus de temps qu'en 1977 à rechercher dans la littérature scientifique les informations susceptibles de les intéresser. Rien d'étonnant à cela car Internet a fait exploser le nombre de publications scientifiques. En effet, c'est moins cher et plus rapide de mettre en ligne une étude en format pdf que de la diffuser sur support papier.
«On fait l'inverse de ce qu'on faisait avant»
Mais le déluge d'informations est encore amplifié par le fait que chaque chercheur est évalué sur le nombre d'études qu'il publie, selon la formule anglaise publish or perish (publier ou périr). Les chercheurs ne peuvent plus suivre tout ce qui sort. Résultat, ils sont de plus en plus obligés de lire en diagonale. Ils sautent d'un document à l'autre et n'arrêtent pas de cliquer à toute allure. «Ils font un peu comme dans les jeux vidéo basés sur la vitesse», expliquent Allen Renear et Carole Palmer. Ils jettent un coup d'œil au titre puis, très vite, s'il retient leur attention, ils vont au résumé ou aux figures, etc.
Tous ces repères leur permettent finalement de ne pas avoir à lire, comme l'explique avec un brin de provocation Allen Renear. «En surfant, ils ont d'ailleurs toujours plusieurs objectifs en tête.» Ils peuvent rechercher des informations pour savoir ce que font leurs concurrents et où ils en sont. Ce type de «descente» dans la littérature scientifique est facilité par le fait qu'il existe des sites Internet où les études en ligne sont archivées au jour le jour. C'est le cas de Medline dans le domaine de la recherche biologique et biomédicale (17 millions d'articles), tenu à jour par la Bibliothèque de médecine des États-Unis.
Mais la véritable innovation est ailleurs. En effet, plutôt que de s'en remettre à Google pour pouvoir trouver rapidement des informations sur un objet précis dans une discipline donnée, les scientifiques ont mis en place ce qu'on appelle des ontologies. Il s'agit en fait d'immenses bases de données structurées sur le modèle des arborescences utilisées en informatique. «Ce sont des systèmes de classement hiérarchisés où chaque objet est décrit par un terme bien défini», explique Évelyne Duvernois, bio-informaticienne à l'Inra (Versailles). Les études étant référencées en annexe de chaque objet, elles ne sont plus la première source d'informations comme c'était le cas sous le règne du papier. «Maintenant on cherche l'info et on complète par la lecture. On fait l'inverse de ce qu'on faisait avant.»
Plusieurs disciplines ont déjà leur ontologie. La plus importante est sans nul doute Gene Ontology ou l'ontologie des gènes. Elle archive et intègre au jour le jour toutes les informations nouvelles venues des laboratoires du monde entier et concernant les gènes humains, les protéines, leurs fonctions et les processus biologiques. Gene Ontology est devenue une source d'informations indispensable pour tous les biologistes et pas seulement les bio-informaticiens. Cette mise en commun du savoir est gérée collectivement par la communauté scientifique du monde entier qui respecte avec scrupule tous les codes établis. C'est la condition sine qua non pour sa pérennité. Ce monde bien ordonné fonctionne selon la logique d'Internet. Plusieurs initiatives concurrentes au départ, et à la fin c'est le meilleur qui s'impose.
«L'utilisation des ontologies va devenir de plus en plus nécessaire pour parvenir à gérer le déluge d'informations sur Internet», assure Allen Renear. Elles peuvent se développer dans tous les domaines, aussi bien les recettes de cuisine, le cinéma que la construction.»
Source : Le Figaro - Yves Miserey
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