31.7.06

Hommes libres ?

Je dis toujours que je ne suis ni de droite, ni de gauche. C’est sans doute insuffisant. Voici ce que je suis en fait.

1/ Je suis altermondialiste. Je crois que nous devons revoir la notion de croissance.
2/ Je suis écologique. Je crois qu’il faut se dépêcher de stopper la catastrophe déjà en marche.
3/ Je suis socialiste. Je crois que nous nous devons d’aider les gens qui ont moins de chance que nous.
4/ Je suis libéral. Je crois que nous ne résoudrons les problèmes évoqués précédemment qu’en profitant de l’inventivité de chacun et en agissant localement hors de tout cadre contraignant. Je crois que des gens ordinaires peuvent faire des choses extraordinaires.

Aucun parti ne porte aujourd’hui l’ensemble de ces idées. Aucun parti ne le peut d’ailleurs car le point 4 exclut tout embrigadement. Seul un réseau de gens porteur de ces valeurs peut se former. Un réseau de type distribué, décentralisé, sans la moindre forme d’autorité régulatrice.
Une ébauche de réseau existe, le réseau freemen. Mais, même s’il contient dans son nom la notion de liberté, il n’en fait pas sa clé de voûte et envisage souvent, pour les grands problèmes, des solutions propres à l’âge industriel, c’est-à-dire centralisées, globales, contrôlées… des solutions réductionnistes qui séparent les causes et les effets. Il voit le monde comme une machine.

Nous sommes pourtant entrés dans l’âge de l’information, de machiniste notre vision du monde est devenue biologique. Les causes et les effets se rebouclent sans cesse, la complexité domine, les processus ne se contrôlent plus. Il faut cesser de voir le monde comme une horloge trop bien huilée. Il faut cesser de croire que nous le maîtrisons alors que nous ne faisons qu’y vivre et y ajouter encore de la complexité.

Si les choses vont mal dans notre monde, c’est parce que la logique de l’âge industriel ne fonctionne plus. Il faut adopter une autre logique, il faut changer. C’est très difficile, même douloureux, car ça implique de revoir un modèle de société dans lequel nous baignons depuis trois siècles explique Dee Hock dans son merveilleux The birth oh the Chaordic Age.
Une fois que nous avons fait le constat de ce qui ne va plus, comme le fait très bien le réseau freemen, il faut accepter de se faire mal pour changer sa façon de se penser dans le monde. Cette seconde étape est la plus difficile, la plus exigeante, elle nous force à abandonner beaucoup d’habitudes et d’adopter de nouvelles approches.

Le livre de Dee Hock ne devrait plus nous quitter. Il démontre que la nouvelle façon de voir le monde existe et qu’elle fonctionne. Dee Hock l’a appliquée lorsqu’il a créé VISA à la fin des années 1960. Il a misé sur l’égalité de chacun des employés, il a fait exploser l’idée de management, il a parié sur l’auto-organisation… Sans qu’il le sache, en même temps, Internet s’est construit en reposant sur les mêmes principes, les principes que la nature a découverts pour faire face à la complexité croissante.

J’ai commencé cet article en disant qui je suis en quatre points. En fait, ces points ne sont pas tous de même nature. Les trois premiers (alter/écolo/socialo) sont de l’ordre du constat et en même temps de l’objectif. Le quatrième (liberté) est de l’ordre du principe. Il définit un moyen pour atteindre les objectifs.

De leur côté, les freemen se sont donnés des buts, les mêmes que j’ai listés, mais pas, que je sache, un principe qui leur permettrait de les atteindre. Or, sans principe, on n’agit pas efficacement. C’est pour cette raison que je crois que la déclaration d’interdépendance peut servir de principe. Elle peut devenir l’armature d’une nouvelle conscience politique.

source: Thierry Crouzet

13.7.06

Politique, jeux et science de l’âme

Au temps de Platon, les sophistes sont des professeurs itinérants de l’enseignement supérieur. Ils donnent, contre rétribution, aux fils de l’aristocratie, des cours sur l’art de parler et de persuader, sur l’art de manipuler les masses. Dans Le Sophiste, Platon dresse un sévère réquisitoire contre eux, les qualifiant d’athlètes en paroles et d’illusionnistes. Vers –385, il crée l’Académie, où « Nul ne pénètre s’il n’est géomètre », et où sont enseignées notamment les mathématiques, les sciences naturelles, l’astronomie, les sciences politiques et la philosophie. La pédagogie du dialogue y est pratiquée.

Aujourd’hui, comment les « athlètes en paroles » modernes opèrent-ils ? Par l’intermédiaire du petit écran, ils touchent des millions de personnes, et leur donnent l’illusion de parler de politique. En fait, dans les émissions d’infotainment (expression forgée avec information et entertainment), ils ne parlent pas d’idées, mais d’eux-mêmes, d’impressions, de sentiments. Le discours émotionnel l’emporte alors sur le discours politique .

L’émotion est également au cœur des manifestations sportives, notamment footballistiques. Ces grands rassemblements, communautés imaginées autour d’un même enjeu, illustrent la recherche d’une cohésion perdue. Cohésion que n’offre plus le discours politique ? Panem et circenses (du pain et des jeux) était, selon Juvénal, poète satirique latin (fin du Ier – début du IIe siècle), tout ce que demandait le peuple. Si les jeux ont été inventés par les Grecs, c’est à Rome qu’est né le sport-spectacle et que le rôle de l’argent dans les compétitions s’est affirmé. Le grand cirque de Rome contenait jusqu’à 150 000 personnes. Les organisations étaient structurées, et les « partis sportifs » se distinguaient par leurs couleurs : les Bleus, les Verts, les Blancs et les Rouges ! Aujourd’hui, les psychologues s’intéressent aux rencontres de football, au comportement des footballeurs, à celui des spectateurs dans les stades ou devant leur téléviseur.
Se rassembler, vibrer pour un objectif commun, s’inquiéter face à l’incertitude du résultat, le sport renforce la cohésion du groupe . Une foule qui écoute un discours politique, ou qui regarde un match de football, ressemble parfois à une sorte de « supra-individu » réagissant « comme un seul homme ». Un tel comportement de masse laisse penser qu’il existe un inconscient collectif qui animerait les foules, lesquelles seraient plus que la somme de leurs constituants, et laisseraient émerger des propriétés nouvelles. Cet inconscient collectif présente certaines caractéristiques de l’inconscient cognitif, notamment une forte charge émotionnelle.

Les neurosciences et la psychanalyse peuvent-elles dialoguer ? Nombre de psychanalystes refusent ce dialogue, et certains neuroscientifiques le trouvent sinon impossible du moins stérile. La psychanalyse est accusée de tous les maux, et l’on reproche aux neurosciences de vouloir réduire l’individu à ses neurones. Tous ne campent pas sur des positions aussi tranchées et une nouvelle discipline, la neuropsychanalyse, a même vu le jour. La science de l’âme – la psychologie selon Platon – a tout à gagner d’un dialogue éclairé.

source: Françoise Pétry - http://www.cerveauetpsycho.com/

11.7.06

CO2: Emission 2050

En prévision du G8, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a publié le 22 juin, pour la première fois, un scénario tendanciel 2050 d’envolée des émissions mondiales de CO2 liées à l ‘énergie (+137% par rapport à 2003 et 2050). Ce scénario n’est pas une simple prolongation linéaire des tendances annoncées précédemment (World Energy Outlook 2005 –WEO 2005) par l’Agence (+52% entre 2003 et 2030). "Il est fondé sur une très forte hausse du prix du brut qui conduit à développer massivement les pétroles non conventionnels et les carburants synthétiques à partir du charbon", explique un expert.

"Les politiques actuelles n’ouvrent pas la voie à un avenir énergétique durable, nous en sommes très éloignés", a averti à cette occasion le directeur de l’AIE, Claude Mandil, en présentant "Perspectives des technologies de l’énergie".Contrairement à l’affichage politique de plusieurs pays européens en faveur d’une division par deux des émissions mondiales de CO2 pour 2050, l’ouvrage estime qu’à un prix acceptable (moins de 25 dollars par tonne de CO2) les émissions pourraient, au mieux, être ramenées à leur niveau actuel en 2050, la décarbonisation des transports ne pouvant être envisagée avant la deuxième moitié du siècle.

A cet effet il faut accélérer l’amélioration de l’efficacité énergétique, donner "une forte priorité" au captage et stockage du CO2, qui permettrait de produire "plus de 5.000 TWh" d’électricité d’ici 2050 à partir du charbon, pousser les énergies renouvelables (dont la part dans l’électricité mondiale pourrait être quadruplée) et accorder "un rôle plus important au nucléaire dans les pays où c’est acceptable".

L’EIA (Energy Information Administration) se montre plus pessimiste que l’AIE en prédisant un accroissement tendanciel de 75% des émissions mondiales de CO2 entre 2003 et 2030 dans son dernier rapport annuel (International Energy Outlook - IEO 2006), publié le 20 juin.

L’agence américaine mise sur une hausse de la consommation de charbon de 2,5% par an durant cette période contre 2,4% pour le gaz et les renouvelables raccordables au réseau. La capacité nucléaire progresserait durant la période de 21% malgré un "déclin significatif en Europe".
Dans un communiqué publié le 28 juin, l’EIA a annoncé par ailleurs que les émissions américaines de CO2 (énergie) n’avaient augmenté que de 0,1% en 2005 ce qui porte leur progression depuis 1990 à 18,4%.

source: Odile Meuvret Ministère de l'écologie et du développement durable

10.7.06

Z comme...

Le coeur est devenu une composante essentielle de la vie publique. Nous sommes entrés depuis plusieurs années déjà dans la société de l'émotion. Quelle qu'en soit sa nature, l'événement, pour peu qu'il soit d'ampleur, suscite un profond sentiment. L'enthousiasme, la joie , la peine, la compassion saisissent alors les foules. Les voilà vite mobilisées, prises dans un élan collectif, souvent mondial. Les voilà aussi vite oublieuses, sautant sans gêne d'un phénomène à l'autre du moment qu'une nouvelle poussée d'adrénaline vient relancer les mouvements du coeur. Bref, nous consommons de l'émotion comme n'importe quel autre produit. Il ne fait évidemment pas très bon, dans un tel climat, miser sur la raison et en appeler à l'esprit de responsabilité. C'est qu'on ne veut guère, pour utiliser une expression à succès, se prendre la tête. Le droit à l'inconscience n'est pas encore revendiqué, mais cela ne saurait tarder. Et il arrive qu'on sente çà et là comme un devoir d'insouciance, tant le monde paraît compliqué si l'on se penche trop sur son sort et les problèmes ardus pour peu qu'on les examine l'esprit froid. Ainsi, à la fois, les sociétés occidentales modernes sont-elles partagées entre le scepticisme, qui ruine le goût d'entreprendre, et l'émotion qui, à forte dose, obère la réflexion. Coup de sang, coup de boule et carton rouge, il faut voir au moins un signe positif à l' issue tragique de l' idole, comme l'ultime empreinte d'un Dieu vivant redevenu un homme devant des centaines de millions de téléspectateurs. Dans son exil d'icône du foot, milliardaire, Zinédine Zidane avait bien emporté avec lui les reliquats d'un passé de quartier, un coup de tête, comme un vieux reste de la Castellane. A nous il ne reste que du bleu au coeur aussi...

6.7.06

La diplomatie du football

«On demande au football plus qu’il ne peut donner». Le football rend folle presque toute la planète, il joue forcément un rôle dans les rapports entre les pays. Boubacar Boris Diop l'écrivain-journaliste sénégalais, pose un regard très lucide sur les impacts du football sur de la population mondiale, dans ses rapports entre pays, entre continents.

La première puissance mondiale est hors-jeu et cela limite le poids du foot dans les relations internationales. Henry Kissinger l’avait bien compris et il avait essayé, sans grand succès d´ailleurs, de mettre fin à cette exception culturelle à l´américaine. Cela dit, pendant les grandes compétitions internationales de football, les tueurs redoublent de férocité, ils savent qu’ils peuvent massacrer des innocents dans l´indifférence générale et ils ne s´en privent pas. Le génocide rwandais a eu lieu pendant la Coupe du monde de 1994 aux Etats-Unis et ces jours-ci, pendant que tous les regards sont tournés vers l’Allemagne, Israël est en train de lancer une offensive meurtrière contre les Palestiniens, sous prétexte de rechercher un soldat fait prisonnier par le Hamas. (…)

Sur un autre registre, on parle d’identification de pays africains à partir des drapeaux durant la Coupe du monde. Et nous, Sénégalais ou Ghanéens, que savons-nous des drapeaux européens ? Celui des Américains, on le connaît à cause des guerres qu’ils n’arrêtent pas de faire dans le monde entier. Celui des Français nous est également familier, car plusieurs millions des nôtres sont morts sans raison pour ce drapeau-là. A part des cas extrêmes de ce genre, personne ne se soucie vraiment des drapeaux des autres pays. Alors où est le problème ? Les Africains se plaignent beaucoup d’être ignorés par les autres et en particulier par l’Occident. Cette demande d’affection (des Africains) est assez curieuse. C’est un des symptômes du complexe d’infériorité que nous, intellectuels, nous risquons à la longue d’inculquer aux populations africaines.

Peut-être aussi que bien des gens vont se dire : mais où les pays africains trouvent-ils la force de s’amuser, avec toutes les guerres et la famine qui sévissent chez eux ? Ne nous berçons pas d’illusions, la Coupe du monde grossit peut-être surtout les préjugés racistes. Le mieux est d’ignorer ces inepties. Nous ne sommes maîtres que de notre vécu, pas de la manière dont les autres ont envie de nous voir.

Ballon rond, carte de visite mondiale ?

«Ecoutez, pour moi c’est terrible d’en être réduit à penser de la sorte. Notre besoin d’être connus et aimés a quelque chose de pathétique, finalement. Nous devrions avoir d´autres priorités, comme l´éducation, la santé ou la culture. Le sport doit être un plus, notre horizon humain et spirituel ne peut pas se réduire à cela. Le Cameroun est un quasi grand du foot mondial, mais le pays est dans un état lamentable, le Sénégal ne se porte guère mieux. Et dans la plupart des cas, on peut s’interroger sur la valeur de tous ces exploits sportifs qui nous font perdre la tête. Le Sénégal a certes brillé au Mondial asiatique, mais le football avait cessé depuis longtemps d’exister chez nous ! Aujourd’hui encore, quand il y a un match de championnat à Dakar il y a parfois plus de personnes sur le terrain que de spectateurs dans les tribunes. On dépense des milliards parce que les cameras de télé vont être là, on est dans la frime absolue.»

L' opium du peuple

«Le football zaïrois ne s’est jamais aussi bien porté que du temps de Mobutu. C’est de même pour l’Argentine de la dictature militaire qui a remporté le Mundial de 1978. Pour tous les pouvoirs autoritaires, le football, immense phénomène de société, est aussi un moyen de légitimer les violations des droits de l’homme. Grâce aux performances de l’Equipe nationale, le dictateur peut dire : mes méthodes sont un peu brutales, mais les résultats sont là. En 2002, à la faveur des exploits des Lions, on nous a bassinés avec «Le Sénégal qui gagne». Il y a eu ensuite le naufrage du Joola, qui a rendu le régime un peu plus modeste. En fait, on demande au foot plus qu’il ne peut donner, la réalité sociale est têtue, elle reprend vite le dessus. Quand Mobutu meurt dans les tristes conditions que l’on sait, personne ne se souvient que son pays devenu exsangue avait jadis remporté la Coupe d’Afrique.»

source: Boubacar Boris Diop, Quotidien de Dakar.

5.7.06

Des plans sociaux à l'appropriation sociale

C’est en lisant la presse, le 8 mars dernier, que les salariés de la Sogerma, notamment ceux du site de Mérignac, ont pris connaissance du 3eme plan social qui devait les frapper.Dire que ce fut un choc pour chacun d’entre-eux reste en-dessous de la réalité. Ce fut un mélange d’abattement, de colère et de révolte. Une atteinte à leur dignité ! On les traitait comme quoi ! C’était le mépris le plus profond, la désinvolture la plus outrageante ! Des pions ! Des bons à jeter ! Ils avaient contribué à faire la Sogerma et on allait se passer d’eux ! <>Poutant, on n’était plus dans la Grèce ou la Rome antique des esclaves. Ni dans la féodalité et ses serfs, jetables et corvéables à merci. Ni dans la Russie tsariste de Gogol et de ses « âmes mortes ».Mais ce retour aux moeurs d’un capitalisme pur et dur des origines n’est-il pas pire à ce qui s’appelle aujourd’hui libéralisme, ultralibéralisme, ou social-libéralisme, au choix ! Quand 62% des français considèrent aujourd’hui le capitalisme comme négatif, n’est-ce pas cela qu’ils appréhendent tout d’abord ?

Quel humanisme ?

Comment traite-t-il les hommes, ce capitalisme ? Et les familles ? Et les enfants ? Dans un pays qui se veut civilisé ! Dans un pays riche, un des plus riches de la planète ! Dans un pays où l’on fabrique et vend pas mal d’avions, où l’industrie aéronautique se porte bien et où les voyages en avion se développent ! Et qu’en est-il de la démocratie ? Des libertés ? Les salariés de la Sogerma, des hommes libres ? Certainement par certains aspects. Mais être soumis au bon vouloir des dirigeants de EADS, est-ce la démocratie ? La liberté ? Pouvoir perdre son travail du jour au lendemain, est-ce aussi la liberté, la démocratie ?

Et quand les dirigeants de l’Etat, pourtant encore actionnaire, laissent faire, est-ce encore la liberté, la démocratie, qu’ils sont sensés garantir ?
Pour Proudhon, la propriété c’était le vol. Il voulait certainement dire l’appropriation privée des richesses produites par les salariés, il aurait dit les prolétaires. <>Mais la propriété, on le voit bien, ne supporte pas la démocratie. Elle la nie tous les jours, comme viennent de le faire les dirigeants de EADS qui se comportent en monarques absolus décidant de ce que sera la vie, ou même la non-vie, de leurs salariés, sans que les plus hautes autorités de l’Etat n’y trouvent à redire, voire comme le considérait le Premier ministre de la gauche plurielle, qu’il ne pouvait rien y faire, que la politique ne pouvait pas tout, c’était je crois à l’occasion d’une situation semblable chez Michelin . Il est vrai qu’il avait dit : « Oui à l’économie de marché ! » Et, effectivement, si c’est le marché qui décide, il ne reste pas beaucoup de pouvoirs et de libertés pour les hommes, y compris les hommes politiques, même s’ils occupent les plus hautes responsabilités de l’Etat.

Les maîtres du Monde

Dans la réalité, il y a souvent des liens étroits, très étroits même, entre les « décideurs » des grandes sociétés capitalistes et les « décideurs « politiques ».

Prenons un exemple dans l’actualité, « cet étrange monsieur Gergorin », comme l’écrit Sud-Ouest, qui est, entre autres, vice-président du groupe EADS, après avoir été conseiller d’Etat, directeur du Quai d’Orsay où il a bien connu Dominique de Villepin. C’était aussi, apprenons-nous, avec Philippe Camus, le financier, Noël Forgeard, l’opérationnel, le stratège de Jean-Luc Lagardère qui ont permis à ce dernier de devenir l’actionnaire de référence de EADS.

Et c’est justement le gouvernement de Lionel Jospin qui a privatisé Aérospatiale, dont dépendait la SNIA, devenue SOGERMA, et l’a vendue à Lagardère-Matra, à une valeur très contestée par les spécialistes. Le stratège Gergorin a dû avoir un rôle décisif dans cette appropriation puisqu’on le retrouve dans le Top 100 de l’Intelligence économique où il cotoie ses collègues de tous les grands groupes industriels.

Mais c’est surtout dans le Groupe de Bilderberg, groupe qui regroupe ceux qui se veulent « les maîtres du monde » que se cotoient grands industriels, grands financiers, politiques de haut niveau et membres de l’appareil judiciaire.

L’Etat-Major du capitalisme mondial ?

En tout cas, outre Gergorin, vice-président, et Philippe Camus, président de EADS, on y trouve Michel Bon, passé de France-Télécoms au gouvernement, Jean-Louis Bruguière, Bertrand Collomb de Lafarge, Jean-François Coppé, porte-parole du gouvernement, Etienne Davignon que l’on ne présente pas, Valéry Giscard d’Estaing, Henri Kissinger, Pascal Lamy qui sévit à l’OMC, Pierre Lellouche, Thierry de Montbrial, Richard Perle, Frank Riboud de Danone, David Rockfeller, Jean-Claude Trichet, Dominique de Villepin, Paul Wolfowitz, Robert Zoellick, Dominique Strauss-Kahn, ...

Bien évidemment, nous n’entrerons pas dans le sordide de l’affaire Clearstream, le blanchiment de l’argent et autres filouteries des grands de ce monde, encore que ce soit aussi l’un des aspects parmi les plus nauséabonds du système capitaliste où tout, ou presque, apparaît permis si vous comptez parmi les puissants.

Et ce sont les mêmes qui s’octroient le droit de décider, au nom des intérêts bien compris de leur classe, du sort de 500 salariés de la Sogerma, voire même de la pérennité du site de Mérignac. C’est à vomir, mais que leur importe !

Les licenciements boursiers

C’est pourquoi il convient de bien distinguer dans les arguments mis en avant pour justifier ce qui serait un nouveau plan social entre l’apparence et les raisons plus profondes, sans doute essentielles mais rarement avouées. La Sogerma est accusée de perdre de l’argent dans un groupe qui en gagne beaucoup, ce qui conforte l’idée qu’il convient d’y regarder de plus près.Parce que, à la Sogerma comme ailleurs, les travailleurs produisent de la plus-value comme le dirait Marx, de la valeur ajoutée comme l’on dirait davantage aujourd’hui, bref des richesses nouvelles. Et si ces richesses nouvelles n’apparaissent pas, c’est qu’il y a certainement quelque explication, qu’il s’agisse d’organisation du travail, de sous-facturation du travail ou, tout simplement des transferts de fonds entre filiales, ce qui est une pratique courante dans les grands groupes, notamment lorsque l’on veut faire la démonstration qu’une filiale n’est pas rentable. Faisons remarquer dès maintenant que sur toutes ces questions les salariés n’ont pas leur mot à dire.

C’est « travaille et tais-toi » ! Les droits, la liberté, la démocratie, du point de vue de la gestion, ça n’existe pas non plus, comme si l’entreprise n’était pas dans la société.Donc on ne veut pas que les salariés aient leur mot à dire, qu’il s’agisse des comptes ou de l’organisation du travail. C’est peut-être aussi que les véritables raisons du bilan financier sont ailleurs. Par exemple pourquoi, alors que toutes les autres filiales de EADS ne parviennent pas à réaliser leur plan de charges, n’y a-t-il pas partage du travail entre établissements ? Par exemple encore, les organisations syndicales ont fait plusieurs propositions qui permettraient d’assurer un plan de charges suffisant pour conserver les emplois, pourquoi ne sont-elles pas examinées paritairement ?

Alors, c’est peut-être ailleurs qu’il faut regarder ? Par exemple, du côté de la Bourse, des marchés financiers. Et que dit-on de ce côté là ? Et justement, le 8 mars, le jour où sont annoncées les possibles suppressions d’emploi, le coupon EADS est nettement majoré. Il remonte de 1,5% à 32,20 euros. Le résultat opérationnel de EADS est en hausse de 17% par rapport à 2004 et la marge opérationnelle a progressé également de 7,7% à 8,3%. Pour sa part, le résultat net a bondi de 39% pour s’établir à 1,68 milliards d’euros contre 1,20 milliard en 2004.

Conclusions de la direction de EADS : « Les performances exceptionnelles de 2005 nous permettent ainsi de revoir à la hausse le dividende versé. Quelques jours plus tard, Morgan Stanley annonce une spectaculaire révision à la hausse de son objectif de cours. Il a acquis la certitude que la direction de EADS est en mesure d’atteindre, voire de dépasser, ses objectifs opérationnels.

Sur quoi Morgan Stanley se base-t-il ? Il estime que le managment observera une discipline d’investissement rationnelle sur Airbus et qu’il remettra sur pied les actifs sous-performants comme Sogerma, ou les fermera ! » Il pousuit : « La traduction chiffrée de ces éléments est une prévision de croissance moyenne du BPA de 10% par an d’ici à 2010, contre une prévision de hausse de 5% seulement. » En clair, si les dirigeants de EADS réalisaient leurs objectifs, il s’agirait à la Sogerma de ce qu’on appelle « les licenciements boursiers », des licenciements destinés, et uniquement destinés, à faire monter les actions.

Le capitalisme parasitaire

Des licenciements boursiers, c’est ce à quoi conduit la financiarisation du capitalisme et de son économie. Il s’agit d’un capitalisme parasitaire avec une excroissance de financiarisation, une excroissance qui, pour Jean-Marie Harribey, constitue un détournement de la richesse au profit des seuls actionnaires et au détriment des investissements pour un développement soutenable socialement et écologiquement.

Le capitalisme, à ce stade de parasitisme, n’est plus supportable. Même des partisans du capitalisme classique considèrent, comme Joseph E. Stiglitz, Prix Nobel d’économie en 2001 et ancien conseiller de Bill Clinton, que « le capitalisme perd la tête » et dénoncent le « contre-modèle américain ». Il poursuit : « Les économies de marché ne sont pas capables de s’autoréguler. Elles sont soumises à des chocs qui échappent à leur contrôle. Il leur arrive de perdre la tête et de paniquer, de passer de l’exubérance au pessimisme irrationnel, de virer à l’escroquerie, de prendre des risques tels qu’ils relèvent presque du pari, et les coûts des erreurs et des méfaits sont très souvent supportés par l’ensemble de la société ... » C’est un enrichissement des riches et un appauvrissement relatif et parfois absolu des pauvres. Le fait qu’il y ait 7 millions et demi de Français vivant en-dessous du seuil de pauvreté en est la preuve tangible, d’autant que s’y ajoute la grande masse de ceux qui sont juste au-dessus, ceux que l’on appelle les travailleurs pauvres dont le nombre s’accroît sans cesse, tandis que les classes moyennes se paupérisent.

Dans le même temps des retards d’investissements utiles se cumulent dans tous les domaines de la vie, l’école et la formation professionnelle, la recherche, l’innovation, l’hôpital, la santé et la sécurité sociale, le logement social, les transports publics, l’agriculture, l’industrie et les services. Cela dans un pays riche, l’un des plus riche de la planète.Le changement, l’alternative, deviennent indispensables. Il s’agit en fait d’un changement de société, d’engager un processus pour faire reculer le capitalisme parasitaire jusqu’à l’éliminer. J’ai pris l’exemple de la Sogerma, mais ce qui se passe à la Sogerma n’est malheureusement pas quelque chose d’exceptionnel, tout au contraire.

Toute la société doit changer

Et les changements, les alternatives, ne doivent pas concerner la seule sphère économique. C’est toute la société qui doit changer, à commencer par l’ensemble des institutions. Ce qui se passe aujourd’hui en France montre que les limites institutionnelles du système de la 5eme République sont atteintes. Il convient d’en finir avec cette sorte de monarchie élective et d’avancer l’idée d’une nouvelle Constitution, d’une nouvelle République, une 6eme République. Le développement des droits, des pouvoirs des citoyens dans la société et donc aussi dans l’entreprise, les progrès de la démocratie, doivent en être l’élément essentiel.

Evoquant ces trois derniers mois qui ont changé nos vies, Patrick Le Hyaric, dans l’Humanité du 3 mai, résume les réformes de type révolutionnaire qui doivent, à son avis, concrêtiser le mouvement d’espoir : une sécurité de l’emploi, une autre fiscalité pour redistribuer les richesses, une utilisation nouvelle du crédit en faveur de l’emploi, une réduction du temps de travail, une taxation des revenus financiers pour la protection sociale, une appropriation sociale des moyens de production et d’échanges, des établissements financiers, une taxation des capitaux, le respect de la dignité de toutes et de tous, une nouvelle république ... » .

Des approches de l'appropriation sociale

La CGT, qui vient de tenir son Congrès et veut développer la démocratie sociale, a une ambition qui implique de conquérir ou de reconquérir les services publics et d’améliorer ceux existants par une maîtrise collective et une appropriation publique et sociale par les citoyens, en premier lieu les salariés.

Pour Philippe Corcuff, philosophe libertaire, dans la question individualiste, c’est seulement dans les luttes de classes en France que Marx avance l’idée de l’appropriation collective des moyens de production par la classe ouvrière associée. Dès lors se pose un problème simple à formuler, mais complexe à traiter : comment articuler la thèmatique de la libre association des individus et celle, tout aussi importante, de la nécessaire appropriation collective des moyens de production ? Pour Charles-André Udry, de l’entourage de Bourdieu, dans la revue politique virtuelle, si le point de départ d’un projet socialiste réside dans la prise en charge par la société des forces productives, alors la dimension spécifique du politique et de l’administratif doit devenir un sujet de réflexion, afin de développer tous les degrés de la décision prise de manière associée. Pour Christian Delarue, d’ATTAC, l’exploitation capitaliste ne se résume pas à l’extorsion de la plus-value ... L’émancipation totale passe par l’abolition de la propriété privée des moyens de production et l’instauration d’une appropriation collective, non exclusive, des moyens de production placés directement sous le contrôle des producteurs. Pour Anicet Le Pors, ancien ministre communiste de François Mitterand, là où est la propriété, là est le pouvoir. La propriété est un pouvoir. Un pouvoir des hommes sur les choses et, par là, un instrument possible de domination des hommes sur d’autres hommes. Pour Yves Salesse, Pt de Copernic, l’appropriation sociale signifie au moins trois choses : elle ne se réduit pas à un secteur public, mais celui-ci en constitue le pilier central ; si le niveau national demeure aujourd’hui principal, il convient de donner plus d’importance à la propriété publique qui pourrait être définie aux niveaux infra et supranationaux, et notamment au niveau européen ; enfin, l’appropriation sociale ne peut être un simple transfert de propriété, il s’agit de donner à la société les moyens de contrôler et d’orienter son développement.

Pour François Chesnais, de la revue belge « Carré rouge , puisque les transnationales sont le résultat d’un travail socialisé, ne doivent-elles pas être l’objet de dispositions d’appropriation sociale. Il y a un an, face aux licenciements pour cause de soutien à la valeur actionnariale, les délégués des usines Lu avaient posé des questions essentielles : N’avons-nous pas contribué à construire ces usines ? L’image de marque des biscuits LU n’est-elle pas le résultat de notre travail ? Ne sommes-nous pas les seuls à savoir faire fonctionner ces équipements presque neufs dont les actionnaires proposent la mise au rencart tout comme nous ? Pour toutes ces raisons ces usines ne sont-elles pas à nous autant et même plus qu’aux actionnaires ?

Catherine Samary, de la LCR, ferraille avec Yves Salesse : l’expérience « socialiste » a montré l’étouffement possible du pôle privé au nom des intérêts du prolétariat exprimés par le parti/Etat. Et c’est pourquoi il considère que l’appropriation sociale ne saurait se résumer à un transfert juridique de la propriété à l’Etat.

Enfin, pour Lucien Sève, philosophe communiste, l’appropriation sociale implique d’abord l’ouverture aux salariés du capital de l’entreprise et ce jusqu’à des niveaux élevés donnant corps à leur pouvoir d’intervenir dans toutes les décisions de gestion. Ouverture aussi à d’autres partenaires sociaux effectifs des activités en cause, associations d’usagers, collectivités locales, entreprises et services concernés, sans en exclure le privé, car tant qu’il y aura un marché capitaliste, et ce sera pour une longue période, c’est aussi à l’intérieur même d’une mixité conflictuelle que les impératifs d’ordre public devront tendre à prévaloir sur les exigences de profit privé...

Elargir le débat

Ces citations sont autant d’approches possibles et pluralistes du concept d’appropriation sociale. J’ai considéré pour ma part que le débat à ce sujet ne prenait pas encore une place suffisante dans le débat relatif aux alternatives à la gestion de la société par le système capitaliste. J’ai également la conviction qu’il s’agit d’un concept central de cette alternative, notamment en ce qui concerne l’acquisition de droits, de libertés, comme de moyens de maîtriser la production et l’utilisation de l’argent qui sont autant d’aspects essentiels de l’alternative pour les travailleurs-citoyens.

source: Michel Peyret - altermonde-levillage