6.7.06

La diplomatie du football

«On demande au football plus qu’il ne peut donner». Le football rend folle presque toute la planète, il joue forcément un rôle dans les rapports entre les pays. Boubacar Boris Diop l'écrivain-journaliste sénégalais, pose un regard très lucide sur les impacts du football sur de la population mondiale, dans ses rapports entre pays, entre continents.

La première puissance mondiale est hors-jeu et cela limite le poids du foot dans les relations internationales. Henry Kissinger l’avait bien compris et il avait essayé, sans grand succès d´ailleurs, de mettre fin à cette exception culturelle à l´américaine. Cela dit, pendant les grandes compétitions internationales de football, les tueurs redoublent de férocité, ils savent qu’ils peuvent massacrer des innocents dans l´indifférence générale et ils ne s´en privent pas. Le génocide rwandais a eu lieu pendant la Coupe du monde de 1994 aux Etats-Unis et ces jours-ci, pendant que tous les regards sont tournés vers l’Allemagne, Israël est en train de lancer une offensive meurtrière contre les Palestiniens, sous prétexte de rechercher un soldat fait prisonnier par le Hamas. (…)

Sur un autre registre, on parle d’identification de pays africains à partir des drapeaux durant la Coupe du monde. Et nous, Sénégalais ou Ghanéens, que savons-nous des drapeaux européens ? Celui des Américains, on le connaît à cause des guerres qu’ils n’arrêtent pas de faire dans le monde entier. Celui des Français nous est également familier, car plusieurs millions des nôtres sont morts sans raison pour ce drapeau-là. A part des cas extrêmes de ce genre, personne ne se soucie vraiment des drapeaux des autres pays. Alors où est le problème ? Les Africains se plaignent beaucoup d’être ignorés par les autres et en particulier par l’Occident. Cette demande d’affection (des Africains) est assez curieuse. C’est un des symptômes du complexe d’infériorité que nous, intellectuels, nous risquons à la longue d’inculquer aux populations africaines.

Peut-être aussi que bien des gens vont se dire : mais où les pays africains trouvent-ils la force de s’amuser, avec toutes les guerres et la famine qui sévissent chez eux ? Ne nous berçons pas d’illusions, la Coupe du monde grossit peut-être surtout les préjugés racistes. Le mieux est d’ignorer ces inepties. Nous ne sommes maîtres que de notre vécu, pas de la manière dont les autres ont envie de nous voir.

Ballon rond, carte de visite mondiale ?

«Ecoutez, pour moi c’est terrible d’en être réduit à penser de la sorte. Notre besoin d’être connus et aimés a quelque chose de pathétique, finalement. Nous devrions avoir d´autres priorités, comme l´éducation, la santé ou la culture. Le sport doit être un plus, notre horizon humain et spirituel ne peut pas se réduire à cela. Le Cameroun est un quasi grand du foot mondial, mais le pays est dans un état lamentable, le Sénégal ne se porte guère mieux. Et dans la plupart des cas, on peut s’interroger sur la valeur de tous ces exploits sportifs qui nous font perdre la tête. Le Sénégal a certes brillé au Mondial asiatique, mais le football avait cessé depuis longtemps d’exister chez nous ! Aujourd’hui encore, quand il y a un match de championnat à Dakar il y a parfois plus de personnes sur le terrain que de spectateurs dans les tribunes. On dépense des milliards parce que les cameras de télé vont être là, on est dans la frime absolue.»

L' opium du peuple

«Le football zaïrois ne s’est jamais aussi bien porté que du temps de Mobutu. C’est de même pour l’Argentine de la dictature militaire qui a remporté le Mundial de 1978. Pour tous les pouvoirs autoritaires, le football, immense phénomène de société, est aussi un moyen de légitimer les violations des droits de l’homme. Grâce aux performances de l’Equipe nationale, le dictateur peut dire : mes méthodes sont un peu brutales, mais les résultats sont là. En 2002, à la faveur des exploits des Lions, on nous a bassinés avec «Le Sénégal qui gagne». Il y a eu ensuite le naufrage du Joola, qui a rendu le régime un peu plus modeste. En fait, on demande au foot plus qu’il ne peut donner, la réalité sociale est têtue, elle reprend vite le dessus. Quand Mobutu meurt dans les tristes conditions que l’on sait, personne ne se souvient que son pays devenu exsangue avait jadis remporté la Coupe d’Afrique.»

source: Boubacar Boris Diop, Quotidien de Dakar.