22.12.06

Vivre sans travailler !

J’ai longtemps refusé l’idée d’un revenu social qui permette de "vivre sans travailler". Personne ou presque ne veut d’un revenu garanti, cela choque les convictions. On peut se dire qu’il est inutile de tout chambouler et qu’il est plus simple de traiter séparément retraite, chômage, travailleurs pauvres, insertion, allocations familiales, étudiants, etc.

L’inconditionnalité du droit à un revenu de base suffisant soulève des objections immédiates : ne va-t-elle pas produire une masse croissante d’oisifs vivant du travail des autres ? quel contenu donner au travail obligatoire exigible en contrepartie de l’allocation de base ? Si l’on veut que l’allocation universelle d’un revenu de base soit liée à l’accomplissement d’une contre-prestation qui la justifie, il faut que cette contre-prestation soit un travail d’intérêt dans la sphère publique et que ce travail puisse avoir sa rémunération (en l’occurrence le droit à l’allocation de base) pour but sans que cela altère son sens.

Cette revendication devrait s’imposer dans le contexte actuel car le revenu garanti n’est pas seulement l’instrument de la lutte contre la précarité et la misère, c’est surtout un renversement complet de logique de la sécurité sociale au développement humain, c’est l’investissement dans la personne, dans son autonomie et sa créativité exigées par le devenir immatériel de l’économie où les travailleurs du savoir sont destinés à la résolution de problèmes dans un environnement incertain. Elle devrait s’imposer car cohérente avec les perspectives et les changements introduits par le post-fordisme.

Pour chaque heure, ou semaine, ou année de travail immédiat, combien faut-il de semaines ou d’années, à l’échelle de la société, pour la formation initiale, la formation continue, la formation des formateurs, etc. ? Et encore la formation elle-même est peu de chose en regard des activités et des conditions dont dépend le développement des capacités d’imagination, d’interprétation, d’analyse, de synthèse, de communication qui font partie intégrante de la force de travail postfordiste. Dans l’économie de l’immatériel, le travailleur est à la fois la force de travail et celui qui la commande. Elle ne peut plus être détachée de sa personne.

On ne peut plus compter sur la continuité des emplois à l’ère de l’information, ce qui change tout par rapport à l’ère industrielle. Il est temps d’affirmer, comme un nouveau "Droit de l’homme", le droit à un revenu décent, revenu d’autonomie sans lequel il n’y a pas vraiment de droits.
Le revenu garanti n’est pas seulement une mesure symbolique unifiant le système de redistribution et d’assistance, c’est une rupture effective, une refondation des droits sur la personne, une toute autre logique économique. C’est surtout une révolution dans la production, une véritable libération des nouvelles forces productives en permettant le développement des activités autonomes (informaticiens, créateurs, etc.) et facilitant la relocalisation de la production (artisanat, agriculture biologique, etc.).

Le revenu garanti pourrait s’imposer dans la lutte actuelle contre la précarité comme la réponse la plus adaptée, la plus ouverte sur l’avenir en même temps que la plus démocratique, conquête d’un approfondissement démocratique, d’un progrès des droits de l’homme, de la solidarité sociale et de la civilisation, dans la grande tradition révolutionnaire. Ce n’est pas tant parce qu’il est la seule réponse à l’insécurité économique qui se développe que le revenu garanti est incontournable, malgré son caractère révolutionnaire et la difficile rupture idéologique qu’il implique. C’est parce qu’il est devenu possible, et surtout parce que cela correspond aux exigences écologiques de décroissance matérielle, de sortie du productivisme salarial, tout autant qu’aux exigences des nouvelles forces productives immatérielles basées sur l’autonomie cognitive, les relations et les interactions sociales.

A l’ère de l’économie de l’information immatérielle, le Revenu Garanti donnerait à tout un chacun les moyens d’une plus grande autonomie dans le choix, l’organisation et le développement de sa vie sociale voire professionnelle.

Quelle écologie supporterait l’absence de revenu garanti ?

Dire que le revenu garanti peut être la base d’une production alternative implique qu’on ne peut en rester au revenu garanti, il faut lui associer des institutions comme des coopératives municipales, les instruments d’une production effective, relocalisée. Le revenu garanti n’est donc pas tout, il est nécessaire à la sortie du salariat mais n’est pas suffisant pour vivre une vie humaine qui a besoin de reconnaissance sociale et de valorisation de ses compétences. C’est un nouveau système de production relocalisé qu’il faut construire, sur d’autres rapports de production.

Quand l’intelligence et l’imagination (...) deviennent la principale force productive, le temps cesse d’être la mesure du travail ; de plus, il cesse d’être mesurable. La valeur d’usage produite peut n’avoir aucun rapport avec le temps consommé pour produire. Elle peut varier très fortement selon les personnes et le caractère matériel ou immatériel de leur travail. Enfin le travail-emploi continu et payé au temps est en régression rapide. Il devient de plus en plus difficile de définir une quantité de travail incompressible à accomplir par chacun au cours d’une période déterminée.

Ce n’est pas le temps de travail qu’il faut réduire, c’est le travail qu’il faut changer, construire une alternative au productivisme, d’autres rapports de production.
Le revenu garanti se trouve au nœud de la révolution des droits sociaux à l’ère de l’information et de la relocalisation de l’économie. Il permet d’accéder à de nouveaux droits individuels et de retrouver un avenir, une nouvelle dignité, refusant de laisser des hommes dans la misère et procurant une nouvelle convivialité dans les rapports humains en même temps que les moyens d’une sortie du productivisme et de la création immatérielle. C’est sans doute un des enjeux majeur de cette révolution qui commence à peine et qui est loin d’être gagnée encore.

Source: EcoRev - André Gorz (Revenu garanti et postfordisme) & Jean Zin (Vers la révolution du revenu garanti)

8.12.06

La décroissance : une solution

La croissance, recherchée par tous les courants économiques, c’est l’augmentation de la production. Il y a deux discours à ce sujet : néoclassique et marxiste.

I. Rappels sur les théories de la croissance
Les économistes caractérisent la production par l’équation suivante : Q = A x f (K, L) où Q est la production, A la productivité, K le capital et L le travail. La croissance, recherchée par tous les courants économiques, c’est l’augmentation de la production. Il y a deux discours à ce sujet : néoclassique et marxiste. Les néoclassiques affirment que le marché assure l’efficacité c’est-à-dire l’augmentation maximale possible de la production. Il faut que le marché soit parfait : information parfaite (c’est-à-dire les prix sont tous connus de tous), la mobilité est parfaite etc. bref toutes choses irréalistes mais vers lesquelles il faut tendre si on veut le maximum de production. L’Etat peut ensuite redistribuer ce maximum de production. Les marxistes affirment que le marché n’assure pas l’efficacité car il existe une asymétrie de pouvoir entre le prolétariat (qui n’a que sa force de travail à vendre) et les propriétaires du capital. Les seconds se rémunèrent mieux sur les profits réalisés aussi faussent-ils tant la production que l’allocation des ressources. Ce ne sont pas les meilleurs biens et services qui sont produits et ils ne sont pas distribués de manière équitable. Les capitalistes ne parlent de concurrence que pour la fausser. Les marxistes souhaitent donc réaliser l’allocation parfaite sans le marché et pour cela ils entrevoient plutôt la solution de la planification démocratique.

II. La prise en compte de la critique écologiste
La critique écologiste vient compliquer ce jeu. En effet néoclassiques et marxistes se sont longtemps accordés sur la conception d’une richesse purement matérielle (plus de croissance = plus de consommation = plus de biens et de services = plus de bonheur et de moyens pour les diverses institutions humaines) et d’un rapport purement instrumental à la nature (la nature est un matériau qui sert de ressource pour l’économie et de moyen pour la technique). La prise en compte de la critique écologiste par les néoclassiques et les marxistes se traduit : d’une part par la reconnaissance d’un " bien-être naturel " des nations : la richesse est constituée de production mais aussi de " biens naturels " comme un environnement sain, un climat non déstabilisé etc.
et d’autre part par la mise à l’agenda de la question des " limites à la croissance ", ce qui se traduit par la notion de " capital naturel critique ". Les écologistes divergent avec les économistes sur la question de la substituabilité : les économistes ont tendance à mettre les limites assez loin (" durabilité faible ") alors que les écologistes tendent à vouloir les mettre assez près (" durabilité forte "). Le débat n’est pas tranché et il porte sur plusieurs facteurs sans réponse claire, ce qui ne permet pas de poser des limites précises à l’appropriation contemporaine (et plus généralement intragénérationnelle, ce que les économistes appellent « l’usufruit ») des milieux : divergences sur la capacité de l’homme à inventer de nouvelles techniques et trouver de nouvelles ressources (" on va trouver ") pour assurer la pérennité des fonctions sociales actuellement mises en œuvre (automobile à hydrogène etc.) divergences substantielles sur les droits accordés respectivement aux générations actuelles et aux générations à venir, l’importance relative des biens naturels de l’environnement et des biens manufacturés (les écolos préfèrent les parcs naturels et les économistes préfèrent les supermarchés) diagnostic sur l’état du milieu : la modification de tel ou tel écosystème est-elle dangereuse ou pas ? (discussion sur la précaution) l’attribution des responsabilités : devons-nous nous considérer comme responsables de la modification de tel ou tel écosystème ou est-ce le voisin qui est responsable ? Est-il efficace de chercher à faire quelque chose (ex : changements climatiques) ? Quelle est la part de responsabilité due à l’imperfection des marchés ? A tel territoire (ex : la France) par rapport à tel autre (ex : l’Inde) ? etc.

III. L’originalité de la perspective de la décroissance
La décroissance naît de la convergence de deux courants. La première est la critique du développement, emmenée par Serge Latouche : le développement est une idée occidentale, basée sur " l’économisme " et la monétisation de toutes les relations sociales. L’économie est une mégamachine qui a été " désenchâssée " de la société et cette manière d’améliorer le monde commun n’est pas universelle. En réalité il y a diverses manières d’améliorer les mondes communs et pas de solution donnée a priori. Qualité des relations familiales, procédures démocratiques, place de la femme dans la société, connaissance des milieux etc. : il n’y a pas d’arrangements institutionnels qui garantissent un progrès de manière universelle, ce sont chaque fois des arrangements qui doivent tenir compte des réalités locales et en particulier de ce qu’on appelle " la culture ". Toute tentative d’imposer un modèle unique est donc vouée à l’échec et à la dévastation du monde. D’ailleurs dans les faits le développement a causé plus de dégâts, cautionnant impérialisme et néocolonialisme, qu’il n’a amélioré les choses. Pour donner quelques exemples : - faut-il davantage d’écoles dans le monde ? on ne peut pas répondre simplement à cette question car l’école peut servir l’injustice : l’école de Jules Ferry a servi à franciser les régions (comme la Bretagne), elle peut servir à assimiler les Bochimans et autres minorités dérangeantes...
- faut-il davantage de maisons en dur dans le monde ? idem car les constructions traditionnelles sont souvent mieux adaptées au climat local : en Guinée par exemple les gens ont été relogés dans des maisons en béton à la suite de la construction d’un barrage, ce qui a coûté fort cher, mais ils les ont désertées pour reconstruire leurs cases, bien plus confortables selon leur point de vue (mais moins chères donc du point de vue développementiste ils se sont appauvris)... Il est donc urgent de se défaire de cet imaginaire économiste.

La seconde est la critique écologiste emmenée par Ivan Illich : tous les économistes pensent que la technique " avance " et " progresse ". Certes, elle peut être pervertie par le capitalisme mais nous devons reconnaître qu’un progrès existe : nous allons plus vite, nous communiquons mieux, nous sommes en meilleure santé etc. Illich montre au contraire que nous allons moins vite, nous communiquons moins bien etc. et cela devient manifeste quand on envisage le développement de manière globale, au niveau planétaire et dans le long terme. En réalité l’augmentation des performances locales passe par une dégradation des performances globales. Pour que quelques personnes puissent aller vite, communiquer davantage etc. alors toutes les autres doivent être ralenties, communiquer moins bien etc. Pour donner quelques exemples :
l’automobile exclut les piétons et ne peut donc pas être une solution démocratique / " durable "
internet accroît la désinformation et le fossé communicationnel entre Nord et Sud. Il est donc urgent de se défaire de l’imaginaire technique. La décroissance est donc un concept-fantôme lancé dans l’arène de celles et ceux pour qui la croissance est un élément essentiel voire l’élément unique de toute bonne solution à tous les problèmes du monde.

IV. La décroissance : pourquoi un tel scandale ?
De la part des développementistes, la décroissance suscite le scandale et des dénonciations véhémentes. Les arguments sont de trois ordres. Tout d’abord, les procès d’intention :
" vous voulez empêcher le Sud de consommer "
" vous voulez éliminer la monnaie "
" vous voulez imposer un écofascisme "
" vous êtes contre les droits de la personne "
Comme rien de tel n’a été affirmé par aucun des partisans actuels de la décroissance, au contraire, nous laisserons de côté ces arguments qui sont dénués de tout fondement. Ensuite, les arguments qui sont des critiques irrationnelles et passionnelles tenant au fait que la décroissance désacralise certaines des croyances les plus profondes des développementistes de l’Occident (et c’est bien là son but) : " vous voulez revenir à l’âge de pierre " : qu’on nous explique comment un tel risque pourrait exister - c’est continuer dans la voie actuelle, qui est celle du développement, qui a le plus de chances de nous " ramener à l’âge de pierre " - que celles et ceux qui manient cet argument réfléchissent à ce à quoi ils ont réellement peur puisqu’il n’y a nul risque de retour à l’âge de pierre, même si le concept de décroissance est entièrement dévoyé, alors qu’au contraire nous pouvons démontrer avec certitude que la croissance mène à la guerre et au retour à l’âge de pierre. " le monde doit croître, il a besoin d’écoles, de puits etc. " : oui en effet mais cela améliore-t-il la vie des gens de manière durable ? Ca dépend des cas, on ne peut donc pas affirmer que la croissance soit toujours une solution. La décroissance au sens économique du terme ne s’applique qu’au Nord, dont il est urgent de réduire l’empreinte écologique. La décroissance appliquée au monde entier c’est la marginalisation des discours et des pratiques développementistes, rien d’autre. Enfin les mises en garde et de dénonciation de dérives possibles, qui sont finalement les seuls arguments sérieux, que l’on trouve par exemple chez Guillaume Duval : la monétisation c’est l’émancipation voire la pacification, l’arrêter est réactionnaire voire générateur de guerre : mais la monétisation c’est aussi la corruption par conséquent le critère, sans être faux, est très réducteur, trop réducteur pour avoir une portée quelconque ;

- la protection de l’environnement étendra la sphère monétaire : l’argument est vrai à la marge, mais faux si on veut modifier les tendances écologiques dans des proportions qui dépassent l’anecdotique. La contraction des échanges économiques conséquente à un raccourcissement de la division du travail, elle-même nécessaire à une réduction ambitieuse de l’empreinte écologique (produire localement etc.), ne peut à terme qu’engendrer une décroissance importante de la sphère monétaire, abstraction faite évidemment de tous les ajustements (inflation etc.).

- restreindre la croissance est totalitaire : pourquoi donc ? Il faut penser que la liberté est principalement d’ordre économique pour croire qu’une diminution des échanges économiques devra être imposé de force. La diminution des échanges économiques est rendue nécessaire par la nécessaire extension d’autres types de liberté, pour toutes et tous, dans le monde entier, et à long terme. La décroissance et la simplicité volontaire sont un cosmopolitisme, le seul d’ailleurs qui puisse justifier ses prétentions réellement et pas simplement formellement.

- la décroissance va augmenter le chômage : probablement vrai à court terme, pas à long terme, et de toute manière le problème du chômage est bien plus vaste que la question de l’emploi. La question posée est celle de l’exclusion et l’injustice, ce qui tombe parfaitement dans l’escarcelle des partisans de la décroissance qui dénoncent le développement comme principal fautif. Le chômage est l’un des aspects de l’exclusion. La croissance crée du chômage depuis 30 ans. La restructuration écologique demandera de toute manière une profonde modification de l’économie, ce qui peut être une bonne occasion pour créer massivement de l’emploi et pour ouvrir la discussion sur l’attribution de revenus sur d’autres motifs que le travail productif.
Sortir de l’imaginaire économique, c’est aussi cesser de rémunérer les gens en fonction de leur productivité économique, cesser d’accorder tous les droits aux consommateurs et rien au citoyen, et récompenser d’autres comportements.

Il existe enfin une dernière critique : la décroissance ferait le jeu des dominants. Mais les critiques de la décroissance pensent-ils mieux défendre le bien des plus faibles quand ils se raccrochent à des mots tels que " développement durable " ? Rien de plus consensuel aujourd’hui que ce terme, comment font-ils la différence d’avec « les dominants » ? Ils ne la font pas, c’est bien là le problème. Que proposent-ils d’autre ? Rien. Or s’ils ne sont pas pour la décroissance, ils sont pour la croissance, ce qui signifie augmentation des inégalités mondiales (depuis 150 ans), augmentation du chômage (depuis 30 ans), destruction de la planète (tous les scénarios de croissance maximum sont les plus polluants et destructeurs), augmentation de l’exclusion (au Nord comme au Sud) etc. Remarquons d’ailleurs que d’une manière générale, avant que l’on parle de décroissance, les partisans de la croissance faisaient beaucoup moins la fine bouche sur l’importance qu’il y a à bien identifier ce qui croît et ce qui décroît ! C’est une première victoire à porter à l’actif de la décroissance que d’avoir mis fin à l’usage irréfléchi du concept de « croissance ».

Alors, qui fait le jeu de qui ? Je vous le demande. Le choix du mot " décroissance " aujourd’hui peut donc parfaitement être défendu en termes stratégiques. Quand les dominants l’auront récupéré, comme ils ont récupéré le mot " développement durable " et comme ils ont récupéré tous les développements " à particule " (développement " social ", " humain " etc.), la situation sera différente. Les critiques de la décroissance ne proposent donc rien qui ne soit suspect des mêmes dérives que celles dont ils soupçonnent la décroissance.

V. Conclusion : le bien commun au cœur de la décroissance
La décroissance est un concept-fantôme provocateur dont l’ambition est de contribuer à se défaire de l’imaginaire économiste et de l’imaginaire technique, bref de l’imaginaire développementiste, dans nos discours et surtout dans nos pratiques. C’est une critique radicale du « progrès » entendu comme « l’extension historique des pouvoirs humains automatiquement générateur d’amélioration du monde commun », discours implicite à tous les discours sur le développement et sans lequel celui-ci perd son sens. Si le « développement » peut cesser de se focaliser sur les miracles technologiques à court terme et se passer de ce discours mythologique sur l’arrachement de l’homme à la nature, pourquoi ne pas laisser tomber le mot « développement » et se contenter de parle de l’amélioration des conditions de vie des gens ou de la construction d’un monde commun ? Lorsqu’on y réfléchit sérieusement, « développement » ne signifie rien, c’est un terme obscurantiste, un problème sur le chemin d’un monde meilleur et non une solution. C’est un vestige du passé, un vestige des discours historicistes sur les triomphes de la science et de l’industrie dans leur marche vers la domination de la nature. Ces discours sont aujourd’hui vides de sens et nous faut en faire le deuil si nous voulons inventer autre chose. On comprend mieux l’importance de la discussion sur les nouveaux facteurs de richesse. Nous ne pourrons pas modifier les tendances néfastes qui orientent notre destin actuel sans repenser les institutions qui nous y mènent, et ces institutions sont avant tout en nous, ancrées dans le sens commun, dans nos représentations et nos pratiques quotidiennes du monde.

Il y a une manière « croissance » de vivre et une manière « décroissance ». Dans la manière « décroissance », l’entreprise n’apparaît plus comme le lieu de production des richesses. C’est la communauté qui construit son monde commun et en assure la qualité. C’est le citoyen en tant qu’élément du demos, du peuple, qui a la charge de cette tâche. C’est lui qu’il faut solliciter et récompenser s’il travaille pour nous - et pas nécessairement pas de l’argent ! L’entreprise a pour tâche de résoudre des problèmes techniques de production et de mise en relation - bref une tâche d’ingénierie. Elle est un sous-traitant, une sous-fonction de la communauté dont elle doit donc reprendre les finalités si elle veut être respectée. C’est donc à l’entreprise de garantir que les solutions qu’elle adopte respectent bien les modalités de vivre-ensemble recherchées par la communauté. Si l’entreprise est multinationale, elle doit respecter les modalités de coexistence mises en place par les différentes communautés entre elles. Elle doit concourir à faire en sorte que les modalités élaborées par les instances gouvernantes soient démocratiques et respectueuses des droits fondamentaux, et peuvent bien être poursuivies dans le long terme.
L’entreprise ne peut pas être citoyenne en elle-même, car elle n’est pas un sujet politique : elle est une institution, qui ne doit son existence qu’à ses statuts - que la communauté pourrait décider de dissoudre si ça lui chante. Elle peut seulement être mise au service du bien commun tel que décidé par des citoyens. La décroissance, finalement, c’est simplement affirmer que la démocratie et les droits humains fondamentaux priment sur toute forme d’augmentation des revenus, de gouvernance d’entreprise, d’autogestion ou de destin technique. Et cela n’est qu’un préalable. Si nous voulons une mondialisation solidaire et durable, ces finalités doivent être replacées dans un contexte global et à long terme, discutées par toutes et tous et au premier chef les plus démuni-e-s.

Un bon critère pourrait être celui-là : une finalité ne doit être acceptée que si elle fait la preuve de contribuer à réduire l’exclusion dans le monde entier et dans le long terme. La simplicité volontaire appliquée ici, dans nos communautés riches, sans avoir l’arrogante prétention de faire la leçon au reste du monde sans lui demander son avis, passe aisément le test.

Source : Fabrice Flipo Bellaciao

5.12.06

La recette de la bombe atomique

Durant plusieurs semaines, un véritable « livre de recettes » pour fabriquer une bombe atomique était en ligne sur un site du gouvernement américain. L’affaire, révélée vendredi par le New York Times fait grand bruit, en pleine crise du nucléaire iranien. Informées jeudi par le quotidien américain, les autorités américaines ont aussitôt fermé le site, dans « l’attente d’une révision destinée à garantir que son contenu puisse être mis à la disposition du public », précise-t-on à Washington.

Les documents mis en ligne sur ce site d’archives, appelé « Operation Iraqi Freedom Document Portal », contenaient des comptes rendus détaillés des recherches nucléaires secrètes menées par l’Irak avant la première guerre du Golfe, rapporte le New York Times. L’internaute pouvait ainsi y trouver des dizaines de diagrammes, de graphiques, d’équations et d’articles explicatifs sur la fabrication de l’arme atomique. Selon les experts interrogés par le journal, ces informations étaient bien plus détaillées que celles actuellement disponibles sur Internet. Un ancien responsable du département de l’Energie, cité par le journal, estime que les autorités américaines ont commis « un acte irresponsable ».

Selon le New York Times, ce sont les responsables de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) qui auraient prévenu l’ambassadeur américain à l’AIEA du contenu de ce site. Les responsables craignaient en effet de voir ces informations utilisées par des pays comme l’Iran pour fabriquer des armes nucléaires. Vendredi, le porte-parole du représentant américain à l’AIEA a toutefois déclaré n’avoir jamais eu vent de cette affaire.

Pression des Républicains

Le site a été lancé en mars dernier par les autorités américaines. Selon le journal américain, le coordinateur des services de renseignement américains, John Negroponte, aurait tout fait à l’époque pour empêcher sa création. Mais George W. Bush aurait cédé à la pression des Républicains du Congrès, qui avaient proposé une loi pour que ces archives soient publiées. En publiant des dizaines de documents découverts dans les palais de Saddam Hussein au moment de l’invasion américaine de 2003, les Républicains du Congrès espéraient se servir de « la puissance d’Internet pour trouver de nouveaux éléments accréditant la thèse du danger représenté par Saddam Hussein », écrit le New York Times, et ainsi justifier la guerre en Irak, à un moment où l’opinion publique américaine doutait du bien fondé de l’opération. Selon le journal, les conservateurs espèrent toujours faire le lien entre Saddam Hussein et les armes de destruction massive. Un lien jamais établi mais qui avait permis aux autorités américaines de justifier la guerre en Irak.

Source : Le Figaro Internationnal - 03 novembre 2006 Les Etats-Unis ont publié la recette de la bombe atomique