28.2.12

Libertin

Avant, rappelez-vous, il n'y a pas si longtemps, nous étions de grossiers personnages. Nous ne disions pas "soirées libertines" mais "partouzes". Et partouzards pour les "organisateurs" de "soirées libertines" qui y "participaient".
Avant, nous étions vulgaires. Moi le premier, je l'avoue. Partouzes vient de cette drôle d'expression IIIe République de "parties fines" dont Francis Carco, dans les années 1920, déjà, se demandait pourquoi diable on les appelle "fines". J'avoue aussi : je ne disais pas "club libertin" mais "boîte à touzes", ou à la rigueur "club échangiste".

Dans tous les cas, on voit bien de quoi il s'agit. Pas d'un club de golf. Et pas d'échanger des vignettes Panini. Plutôt de messieurs qui cherchent à troquer leur dame de 50 ans contre deux de 25. Houellebecq raconte ça très bien. Il traîne une odeur de vestiaire, de costumes froissés, de bougies parfumées et de sofas en cuir nicotiné. C'est glauque. On se demande toujours qui décide vraiment dans ces histoires.

Avec "parties fines", on frise souvent l'oxymore. Celles de Berlusconi, par exemple. On regarde le président du conseil. On regarde ses "copines" siliconées. On imagine. Pas la moindre once de finesse. Idem avec l'affaire du Carlton. Qu'y a-t-il de fin là-dedans ? Franchement ? Pourtant l'expression continue d'être rabâchée dans les médias avec son effet banalisant et correct.

Quant à "libertin", je vois revenir le mot depuis les années 1980. Il fait la paire, si l'on peut dire, avec le concept de "coquine" ("vicieuse" étant réservé à un usage plus trivial). "Coquine", c'est bien commode, flou à souhait, autant qu'"amatrices" sur le marché très segmenté du porno.

On ne sait pas pourquoi elle est coquine, et on ne veut pas trop le savoir. Bien avant Internet et ses sites de rencontres, il existait des revues-catalogues de contact où les personnes dont il est question plus haut cherchaient des "rencontres coquines dans le respect mutuel" (expression consacrée épatante).

Pour rendre parfaitement acceptable ce marché, on l'enveloppa du vieux mot de libertinage. Bien loin du XVIe siècle, de la liberté de penser et du droit à l'hérésie ; du XVIIe siècle, de ses dépravés impies en perruques et des romans à la rhétorique recherchée ; bien loin a fortiori du libertinus romain, l'affranchi. Le libertin dans les années post-sida est celui qui cherche des réseaux pour y rencontrer des "partenaires multiples" fort bourgeoisement, après le boulot (après la débauche, le dévergondage...), ou, en vacances, dans des campings spécialisés.

Il y rencontre des couples libertins, ou des libertines-coquines toutes seules. Ce mois-ci, le club Les Chandelles à Paris a subi une fermeture administrative : ô surprise, certaines des libertines qui s'y ébattaient étaient des "travailleuses du sexe" (comme il faut dire maintenant quand on ne dit pas "escort"). Tout le monde dans le milieu a fait semblant d'être choqué.

Confondre coquine, libertine et catin, c'est vraiment grossier. C'est comme confondre obsédé sexuel et libertin. Une faute de goût ?

Source: Didier Pourquery - Le Monde du 27.02.2012