12.2.09

Le bon temps

On était mieux sous Chirac. Surtout les Français qui avaient de l'argent en Bourse. Ou des appartements. Les agents immobiliers et les notaires festoyaient. Les traders changeaient de grosse voiture tous les ans. Les marchands de vin ne faisaient pas grise mine, surtout ceux qui bossaient pour l'Elysée. Aujourd'hui, c'est tout juste s'ils arrivent à fourguer un petit saumur-champigny de temps en temps au sommelier présidentiel. Dans les journaux, la publicité rentrait. Les hebdos avaient l'air de catalogues de La Redoute. Maintenant, on dirait des bulletins paroissiaux. De régions pauvres : Cévennes, Nord, Auvergne. Sous Chirac, les restaurants étaient bondés. Les convives se battaient pour payer l'addition qu'ils se faisaient aussitôt rembourser par leur boîte. Désormais, les directeurs financiers renvoient les notes de frais à l'expéditeur avec un gros point d'interrogation. Ou une question sèche, comme : « Pourquoi un deuxième café ? » Ou une remarque acide telle que : « L'eau du robinet est bonne pour la santé. » Les théâtres étaient pleins, même ceux qui jouaient une pièce de Reza. Avenue Montaigne, les filles portaient tellement de paquets qu'on n'arrivait pas à les dépasser sur le trottoir pour voir quelle tête elles avaient. Aujourd'hui, elles se contentent de balancer tristement d'avant en arrière un colifichet Chanel ou un joujou Dior et on voit bien quelle tête elles ont : déprimée. Sous Chirac, les pauvres allaient en vacances. Sous Sarkozy, ils passent cinq jours chez Pierre et Vacances. Ils pouvaient acheter une maison qu'aujourd'hui ils n'arrivent plus à rembourser. On avait le droit de rater son train ou de ne pas vouloir le prendre : à présent, on perd le prix du billet. Sauf les voyageurs de première classe, qui en garderont la moitié.

Sous Chirac, on n'avait pas tous les jours de président de la République à la radio et à la télévision. On ne subissait pas en permanence ses conseils, injonctions, sarcasmes, directives, menaces. Les banquiers ne se faisaient pas disputer, les syndicalistes non plus. Les moins de 16 ans n'allaient pas en prison. Il n'y avait pas autant d'avions dans le ciel. Que ce soit celui du président ou celui des immigrés clandestins ramenés dans leur pays. On ne brandissait pas le nombre d'étrangers expulsés comme un score de football ou plutôt de flipper : 22 150 ! 24 812 ! 31 645 ! Sous Chirac, les Africains avaient une histoire de l'art, puisqu'on leur avait ouvert un musée à Paris. On n'était pas obligés d'écouter chanter Bernadette. On ne se demandait pas qui était le père des enfants des femmes ministres, qui du reste n'étaient pas enceintes.

Bien sûr, avec Sarkozy, on a quelques avantages. Par exemple, on trouve toujours un taxi, même le samedi soir. On se croirait au début de la première guerre du Golfe, quand les Parisiens restaient terrés chez eux par peur des bombes sur Bagdad. Ce n'est plus un exploit d'avoir une table chez Lipp ou un box au Dôme. Il y a aussi la mise en place du service minimum. Du coup, on se rend moins compte qu'il y a des grèves. Ça nous aide à oublier qu'il y en a de plus en plus. Les hauts fonctionnaires changent souvent d'affectation, selon l'humeur du président de la République. Ça met un peu de variété dans leur vie quotidienne.

Source: Le Point - Patrick Besson