21.9.06

Contre pied ...de nez!

Si un parfum crée incontestablement des émotions, peut-il pour autant faire l'objet d'une protection par le droit d'auteur en ce qu'il traduirait un acte de création ? Le principe d'une telle protection semblait acquis. Et, pourtant, par une décision du 13 juin 2006, la Cour de cassation vient de le remettre en cause en jugeant que « la fragrance d'un parfum, qui procède de la simple mise en oeuvre d'un savoir-faire, ne constitue pas la création d'une forme d'expression pouvant bénéficier de la protection des oeuvres de l'esprit par le droit d'auteur » (Cass. 1re ch. civ.).

La liste des créations susceptibles d'être protégées par le droit d'auteur ne vise pas les fragrances de parfum, mais cette liste, énoncée par le Code de la propriété intellectuelle (art. L.112-2), n'est pas limitative et une telle protection a été reconnue à plusieurs reprises par les tribunaux. Ainsi, dans une affaire L'Oréal récemment jugée par la cour d'appel de Paris (arrêt du 25 janvier 2006), les magistrats ont estimé qu'un parfum est susceptible de constituer une oeuvre de l'esprit protégeable par le droit d'auteur dès lors que, révélant l'apport créatif de son auteur, il est original.

Le « nez », simple technicien

La notion d'originalité, bien connue du droit d'auteur, constitue donc le critère de référence même si son appréciation ne peut être que subjective. La Cour de cassation vient cependant de mettre un terme à cette tendance jurisprudentielle. En l'espèce, il s'agissait d'une salariée qui, ayant quitté son employeur dans des conditions conflictuelles, avait décidé de revendiquer des droits d'auteur sur les parfums qu'elle avait créés. L'enjeu était de taille puisque si elle avait obtenu gain de cause, la société qui l'employait aurait dû lui verser une redevance calculée sur la base des recettes d'exploitation du parfum objet du litige.

Toute protection d'une fragrance de parfum est-elle pour autant exclue ? Si l'on raisonnait a contrario, on pourrait soutenir qu'un parfum qui ne relève pas de la « simple mise en oeuvre d'un savoir-faire » est protégeable par le droit d'auteur. Cette interprétation nous semble peu fondée, non seulement parce que le principe énoncé par la cour présente un caractère tout à fait général, mais aussi parce qu'une telle distinction apparaît délicate à opérer.

A lire la décision rendue, le « nez » qui crée un parfum est relégué au rang de simple technicien, mettant en oeuvre un savoir-faire, certes grâce à son talent mais sans accéder à la qualité d'auteur. La mise au point de ce savoir-faire s'apparenterait donc à une méthode, tout comme une recette de cuisine, qui ne bénéficie pas d'une telle protection. Il est vrai qu'étendre le droit d'auteur aux parfums s'avère extrêmement délicat. Une des difficultés provient du fait que les parfums, contrairement aux couleurs, ne font pas l'objet d'une codification ou d'une traduction verbale officiellement reconnue. Une autre difficulté serait de déterminer quels sont les parfums pouvant être considérés comme originaux, et ceux qui ne le seraient pas. Car on sait qu'en matière de droit d'auteur, le mérite ou la notoriété n'ont pas d'incidence sur le droit à la protection. Le risque serait que tous les parfums soient protégeables.

Une nécessaire réforme

Le refus d'étendre la protection du droit d'auteur à un parfum semble justifié. Cependant, l'absence de protection par le droit d'auteur ne signifie pas que les fabricants de parfums soient démunis face aux contrefacteurs. Déjà, le nom d'un parfum est protégeable par le droit des marques et la forme des flacons constitue un modèle. De plus, une action reste possible sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme. Elle semble d'ailleurs parfaitement adaptée puisque le comportement déloyal consistera à profiter indûment des investissements réalisés par autrui dans la création d'un produit.

Enfin, la décision rendue par la Cour de cassation apparaît particulièrement justifiée dans le cas d'espèce. Bien que cela puisse sembler surprenant, l'existence d'un contrat de travail n'entraîne pas cession des droits d'auteur du salarié, quand bien même celui-ci a réalisé ses créations dans l'exercice de ses fonctions et avec les moyens mis à disposition par son employeur. Cette règle de droit, bien souvent invoquée lorsqu'un salarié quitte son employeur en de mauvais termes, peut avoir des effets pervers si le salarié se découvre subitement une qualité d'auteur qu'il ignorait... La décision de la cour ne remet pas en cause ce principe, mais elle met en lumière, selon nous, la nécessaire réforme du droit d'auteur sur ce point.

source: Héloïse Deliquiet - Les Echos