L'homme, cet animal qui s'ignore
Des hommes politiques espagnols proposent d'accueillir les grands singes dans la Charte des droits de l'homme. La mairie de Chicago décide d'interdire le foie gras, accusant le gavage des oies et canards d'être une pratique barbare. Le monde entier s'émeut de la chasse aux phoques canadienne ou de la pêche japonaise à la baleine. Les animaux domestiques représentent un marché de plus de 40 milliards d'euros. Les recherches agronomiques insistent désormais pour que les éleveurs montrent plus d'affection à leurs bêtes, garantie de meilleure santé et de rendements supérieurs.
L'homme se rapproche de l'animal, par émotion ou par intérêt. Les animaux ont désormais droit au respect et au bien-être. Le ton est donné par les pays anglo-saxons, et il finira sûrement par se répandre dans le monde entier. Si l'on n'est pas éthologue (spécialiste du comportement animal) ou écologiste convaincu, cette tendance prête à sourire. Nous avons tous vu un porc se faire égorger en songeant aux promesses d'une belle cochonnaille davantage qu'à la douleur du suidé. Nous sourions à l'âge adulte des petits sévices sadiques perpétrés à nos heures enfantines sur quelques bêtes de passage malchanceuses. La chose est entendue depuis belle lurette : le règne animal est cruel, et il n'est pas choquant de l'être avec lui. De là est née la théorie du vernis culturel : nos comportements (les plus sophistiqués et les plus vertueux) auraient été revêtus au fil de l'histoire de l'humanité.
C'était sans compter avec l'indécrottable habitude des scientifiques de bousculer les nôtres. Car le XXIe siècle a érodé brique par brique le rempart érigé entre nous et les animaux. On avait fini par se persuader que la différence entre l'homme et l'animal, c'est le sourire ou l'humour, le « french kiss » ou l'utilisation d'outil, le langage, l'inconscience de l'avenir, etc. L'éthologue Frans de Waal s'amuse à rappeler cette histoire des exclusivités prétendues de l'homme. Platon, qui aurait dû davantage sortir de sa caverne, définit tôt l'homme comme une créature nue marchant sur deux pattes. Diogène sortit intelligemment de son tonneau pour moquer son confrère lors d'une assemblée, un poulet déplumé à la main : « Voici l'homme de Platon. »
L'homme fut ensuite le seul à confectionner des outils. Jusqu'à ce que les éthologues constatent que le chimpanzé fabrique des baguettes à fourmis. On a vu aussi des corbeaux plier un fil de fer pour en faire un crochet. Vexés, nous nous sommes ensuite rabattus sur le langage avant de découvrir la capacité symbolique de nombreuses espèces. Quant à l'exclusivité de la syntaxe, elle tombe publication après publication. Récemment, une équipe de l'université de Californie a réussi à apprendre à des sansonnets à reconnaître la structure récursive du langage, qui permet dans toutes les langues humaines d'inclure à volonté des ensembles de mots au coeur des phrases.
Dernière frontière, l'empathie
La théorie disait jusqu'alors que cette structure grammaticale est le seul élément du langage qui soit spécifique à l'homme. On sait aujourd'hui que les grands singes ont des capacités de langage évolué préexistantes, mais qu'ils ne les utilisent pas dans la nature. C'est ce qui explique qu'ils se montrent si savants en captivité. Ces dernières années ont abattu une autre barrière, celle des émotions. On sait que les éléphants pleurent avant le cimetière, et les chercheurs documentent la richesse du lien d'attachement des chiots.
Aujourd'hui, la dernière frontière qui nous préserve du ridicule animal serait l'empathie. Or des expériences et des observations récentes sur le singe remettent en question les résultats passés négatifs. En revanche, la question de l'affection est tranchée. Dans un zoo britannique, on a vu un bonobo prendre soin d'un étourneau assommé par un choc contre une vitre. Il emporta ensuite l'oiseau au sommet d'un arbre d'où il le propulsa délicatement pour faciliter son envol. L'étourneau manqua son décollage et tomba dans une mare. Le singe passa une partie de la journée à le protéger de la curiosité de ses camarades avant qu'il ne s'envole définitivement. Cette année, 4 nageurs néo-zélandais ont ainsi été protégés par plusieurs dauphins contre l'attaque d'un requin.
Mais le coup fatal à cette longue lutte de l'humain pour se sortir du genre animal est venu sur le tard, au tournant du XXIe siècle, avec le décryptage du génome humain. Il nous a alors fallu reconnaître que nous partagions 98 % de nos gènes avec les grands singes et, peut-être pire, plus de 80 % avec la souris et 50 % avec les levures. Au vu de ces résultats, on sait maintenant que les gènes ne font pas tout, loin de là. Claude Baudoin, responsable du réseau de recherche des éthologues français, estime que c'est surtout le faible nombre de gènes des êtres vivants au regard du nombre de phénotypes qu'il faut retenir. Un argument pour approfondir les recherches éthologiques et se garder de confondre l'homme et l'animal. D'ailleurs, les sceptiques répondront toujours, avec un sens certain de l'observation, que les animaux n'ont pas inventé le fil à couper le beurre, la radiographie ou l'étui à téléphone portable. Il est difficile aujourd'hui de contester à l'homme sa supériorité sur la nature, au point qu'il est en train de lui imposer une sixième extinction carabinée.
source: Matthieu Quiret - Les Echos
L'homme se rapproche de l'animal, par émotion ou par intérêt. Les animaux ont désormais droit au respect et au bien-être. Le ton est donné par les pays anglo-saxons, et il finira sûrement par se répandre dans le monde entier. Si l'on n'est pas éthologue (spécialiste du comportement animal) ou écologiste convaincu, cette tendance prête à sourire. Nous avons tous vu un porc se faire égorger en songeant aux promesses d'une belle cochonnaille davantage qu'à la douleur du suidé. Nous sourions à l'âge adulte des petits sévices sadiques perpétrés à nos heures enfantines sur quelques bêtes de passage malchanceuses. La chose est entendue depuis belle lurette : le règne animal est cruel, et il n'est pas choquant de l'être avec lui. De là est née la théorie du vernis culturel : nos comportements (les plus sophistiqués et les plus vertueux) auraient été revêtus au fil de l'histoire de l'humanité.
C'était sans compter avec l'indécrottable habitude des scientifiques de bousculer les nôtres. Car le XXIe siècle a érodé brique par brique le rempart érigé entre nous et les animaux. On avait fini par se persuader que la différence entre l'homme et l'animal, c'est le sourire ou l'humour, le « french kiss » ou l'utilisation d'outil, le langage, l'inconscience de l'avenir, etc. L'éthologue Frans de Waal s'amuse à rappeler cette histoire des exclusivités prétendues de l'homme. Platon, qui aurait dû davantage sortir de sa caverne, définit tôt l'homme comme une créature nue marchant sur deux pattes. Diogène sortit intelligemment de son tonneau pour moquer son confrère lors d'une assemblée, un poulet déplumé à la main : « Voici l'homme de Platon. »
L'homme fut ensuite le seul à confectionner des outils. Jusqu'à ce que les éthologues constatent que le chimpanzé fabrique des baguettes à fourmis. On a vu aussi des corbeaux plier un fil de fer pour en faire un crochet. Vexés, nous nous sommes ensuite rabattus sur le langage avant de découvrir la capacité symbolique de nombreuses espèces. Quant à l'exclusivité de la syntaxe, elle tombe publication après publication. Récemment, une équipe de l'université de Californie a réussi à apprendre à des sansonnets à reconnaître la structure récursive du langage, qui permet dans toutes les langues humaines d'inclure à volonté des ensembles de mots au coeur des phrases.
Dernière frontière, l'empathie
La théorie disait jusqu'alors que cette structure grammaticale est le seul élément du langage qui soit spécifique à l'homme. On sait aujourd'hui que les grands singes ont des capacités de langage évolué préexistantes, mais qu'ils ne les utilisent pas dans la nature. C'est ce qui explique qu'ils se montrent si savants en captivité. Ces dernières années ont abattu une autre barrière, celle des émotions. On sait que les éléphants pleurent avant le cimetière, et les chercheurs documentent la richesse du lien d'attachement des chiots.
Aujourd'hui, la dernière frontière qui nous préserve du ridicule animal serait l'empathie. Or des expériences et des observations récentes sur le singe remettent en question les résultats passés négatifs. En revanche, la question de l'affection est tranchée. Dans un zoo britannique, on a vu un bonobo prendre soin d'un étourneau assommé par un choc contre une vitre. Il emporta ensuite l'oiseau au sommet d'un arbre d'où il le propulsa délicatement pour faciliter son envol. L'étourneau manqua son décollage et tomba dans une mare. Le singe passa une partie de la journée à le protéger de la curiosité de ses camarades avant qu'il ne s'envole définitivement. Cette année, 4 nageurs néo-zélandais ont ainsi été protégés par plusieurs dauphins contre l'attaque d'un requin.
Mais le coup fatal à cette longue lutte de l'humain pour se sortir du genre animal est venu sur le tard, au tournant du XXIe siècle, avec le décryptage du génome humain. Il nous a alors fallu reconnaître que nous partagions 98 % de nos gènes avec les grands singes et, peut-être pire, plus de 80 % avec la souris et 50 % avec les levures. Au vu de ces résultats, on sait maintenant que les gènes ne font pas tout, loin de là. Claude Baudoin, responsable du réseau de recherche des éthologues français, estime que c'est surtout le faible nombre de gènes des êtres vivants au regard du nombre de phénotypes qu'il faut retenir. Un argument pour approfondir les recherches éthologiques et se garder de confondre l'homme et l'animal. D'ailleurs, les sceptiques répondront toujours, avec un sens certain de l'observation, que les animaux n'ont pas inventé le fil à couper le beurre, la radiographie ou l'étui à téléphone portable. Il est difficile aujourd'hui de contester à l'homme sa supériorité sur la nature, au point qu'il est en train de lui imposer une sixième extinction carabinée.
source: Matthieu Quiret - Les Echos
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