Un Big Brother très démocratique
Le 17 mai 2003, huit joyeux compagnons dévissent les plaques qui ornent la rue Adolphe-Thiers de Grenoble. Celui dont Hugo disait, aux premiers jours de la Commune, « Thiers, c'est l'étourderie préméditée. En voulant éteindre la lutte politique, il a allumé la guerre sociale » (ce qui nous rappelle quelqu'un), fut le boucher de la Semaine sanglante: ils veulent le rappeler par cet acte symbolique. Traduits devant le tribunal correctionnel, nos lurons sont reconnus coupables, mais dispensés de peine. Seulement voilà : on leur ordonne de se soumettre à un prélèvement d'ADN. Ces dangereux dévisseurs de plaques en zinc doivent absolument figurer dans le grand fichier génétique! Rappelons qu'au début ce fichier devait servir la bonne cause : il s'agissait de ficher les violeurs grâce à leur ADN, cette empreinte génétique que l'on retrouve aussi bien dans le sperme que la salive, la peau, les cheveux, les ongles, etc. Cela afin, notamment, de les identifier en cas de récidive.
C'est en 1998 que fut créé à l'initiative du député UMP Marsaud le « Fichier national automatisé des empreintes génétiques », confié à la police judiciaire. Deux mois après le 11 septembre, Jospin s'avisa que ce fichier génétique était bien pratique : il autorisa les policiers à y faire entrer tous les criminels (terrorisme, homicides, vols à main armée). Et deux ans plus tard, en mars 2003, Sarkozy décida d'y ajouter tous les auteurs de simples délits. Et même les suspects !Et gare : quiconque refuse le prélèvement de salive permettant de saisir son ADN risque 1 an de prison et 15 000 euros d'amende ! Un vrai rêve de flic, ce fichier. L'empreinte génétique y est conservée pas moins de quarante ans... Pour l'instant, il ne comporte « que », si l'on peut dire, 125 000 empreintes, mais bientôt nous rattraperons l'Angleterre et son fichier ADN riche de 3 millions d'individus.
Revenons à nos lurons. Ils refusent ce fichage. Et du coup sont à nouveau traînés en justice. La semaine dernière au tribunal de Grenoble, l'un d'eux a réitéré son refus de se soumettre au prélèvement ADN, ce qui a considérablement énervé le procureur (« Le Dauphiné libéré », 21/3) : «Nous ne sommes pas dans un Etat totalitaire, alors nous allons faire du droit ! Le prélèvement biologique s'adresse aux personnes qui ont été condamnées, le Code pénal parle d'indices graves et concordants. Or, dans cette affaire, il ne s'agit pas d'indices mais de preuves !Nous sommes dans une démocratie, vous ne pouvez pas dire: "La loi, ça ne me concerne pas ! "» C'est bien vrai: imaginons que les dévissages antidémocratiques de plaques Adolphe-Thiers se multiplient à travers la France, et que les flics, après interrogatoire sur l'emploi du temps des suspects, expertise des empreintes digitales, filatures, écoutes téléphoniques, etc., soient impuissants à identifier les coupables: l'ADN les tirera certainement d'affaire. Et qui dira merci au grand fichier génétique ? La démocratie.
source: Jean-Luc Porquet - « Le Canard enchaîné » - mercredi 29 mars 2006
C'est en 1998 que fut créé à l'initiative du député UMP Marsaud le « Fichier national automatisé des empreintes génétiques », confié à la police judiciaire. Deux mois après le 11 septembre, Jospin s'avisa que ce fichier génétique était bien pratique : il autorisa les policiers à y faire entrer tous les criminels (terrorisme, homicides, vols à main armée). Et deux ans plus tard, en mars 2003, Sarkozy décida d'y ajouter tous les auteurs de simples délits. Et même les suspects !Et gare : quiconque refuse le prélèvement de salive permettant de saisir son ADN risque 1 an de prison et 15 000 euros d'amende ! Un vrai rêve de flic, ce fichier. L'empreinte génétique y est conservée pas moins de quarante ans... Pour l'instant, il ne comporte « que », si l'on peut dire, 125 000 empreintes, mais bientôt nous rattraperons l'Angleterre et son fichier ADN riche de 3 millions d'individus.
Revenons à nos lurons. Ils refusent ce fichage. Et du coup sont à nouveau traînés en justice. La semaine dernière au tribunal de Grenoble, l'un d'eux a réitéré son refus de se soumettre au prélèvement ADN, ce qui a considérablement énervé le procureur (« Le Dauphiné libéré », 21/3) : «Nous ne sommes pas dans un Etat totalitaire, alors nous allons faire du droit ! Le prélèvement biologique s'adresse aux personnes qui ont été condamnées, le Code pénal parle d'indices graves et concordants. Or, dans cette affaire, il ne s'agit pas d'indices mais de preuves !Nous sommes dans une démocratie, vous ne pouvez pas dire: "La loi, ça ne me concerne pas ! "» C'est bien vrai: imaginons que les dévissages antidémocratiques de plaques Adolphe-Thiers se multiplient à travers la France, et que les flics, après interrogatoire sur l'emploi du temps des suspects, expertise des empreintes digitales, filatures, écoutes téléphoniques, etc., soient impuissants à identifier les coupables: l'ADN les tirera certainement d'affaire. Et qui dira merci au grand fichier génétique ? La démocratie.
source: Jean-Luc Porquet - « Le Canard enchaîné » - mercredi 29 mars 2006
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