7.4.06

Monsieur Jean !

Voilà quatre semaines qu'il est là, ombre grise sur une banquette rouge, à deux pas de l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Jean Lassalle flotte dans son costume, le visage s'émacie, la voix s'affaiblit, mais la poignée de mains reste vigoureuse et la détermination intacte. « Maintenant, dit-il, je ne m'appartiens plus. Je veux gagner, je suis un combattant. Je sens que je vais en sortir. » Le député UDF des Pyrénées-Atlantiques a entamé mardi sa cinquième semaine de grève de la faim.

Aujourd'hui, il fait presque partie du décor dans cette salle des Quatre-Colonnes où l'agitation médiatique bat son plein autour du CPE. Jean Lassalle n'hésite pas à faire le lien entre les deux sujets, la révolte des jeunes contre la précarité et sa révolte à lui contre la désertification qui guette sa chère vallée. Deux facettes de la mondialisation. Deux signaux d'une même colère. « Il faut aider les gens à sortir du mutisme. Nous ne sommes plus en phase avec le peuple. Attention, il est minuit moins cinq ! »

« Une parole, c'est une parole. » Député ou suppléant de député depuis vingt ans, maire de sa petite commune depuis trente ans, Jean Lassalle veut encore croire à la politique. « C'est quelque chose de noble. L'art de rendre possible ce qui est impossible. » Il assure qu'il n'avait plus d'autres moyens pour se faire entendre. « Tant d'engagements n'avaient pas été tenus ! Or, chez nous, une parole, c'est une parole. Si cette entreprise s'en va, c'est la mort de la vallée. J'ai posé un acte qui a un impact dans le monde entier. » On succède en effet sur sa banquette, qui prend des allures de confessionnal, à la télévision suisse. Les journalistes du Japon (pays d'origine de l'entreprise Toyal) se sont évidemment intéressés à lui. Il croit voir « le brouillard se déchirer ». Mardi, le gouvernement français a engagé des discussions « solides » avec le PDG de Toyal. « Moi, je ne veux qu'une chose, répète le député. Que l'usine reste dans la vallée. » Lorsqu'on lui demande s'il est bien dans son rôle de député, Jean Lassalle retrouve un peu de vigueur. « C'est vrai que nous sommes là pour faire la loi. Mais l'Assemblée nationale, c'est aussi le symbole de la liberté ! C'est la première fois de ma vie politique que j'ai le sentiment de faire quelque chose d'utile. » Il invoque les mannes de Mirabeau répliquant à l'envoyé du roi qu'il ne sortirait « que par la force des baïonnettes ». « Un député, c'est d'abord un homme qui pose des signes sortant du commun. »

« Je crois qu'on va y arriver ». Les questions d'actualité s'achèvent; quelques collègues viennent le saluer. « Il faut que tu arrêtes, lui glisse un élu UMP de Touraine. Tu as eu ce que tu voulais. Ne te mets pas dans une situation irréversible ! » Le matin, il avait reçu à sa grande surprise la visite de la championne d'athlétisme Eunice Barber. « Ca m'a fait beaucoup de bien. » « Le regard de mes collègues a changé, poursuit Jean Lassalle. Au départ, j'y lisais de l'incompréhension, de la désapprobation, de la gêne. J'avais peur qu'ils me disent de partir. Maintenant, je sens de l'affection, et même de la crainte pour ma vie. » Il a eu « des mots » avec Debré qui, finalement, lui a imposé un contrôle médical. Il a trouvé ça « très bien ». Le député des Pyrénées-Atlantiques subit une prise de sang tous les deux jours. De quoi vérifier qu'il peut encore tenir le choc, à coup de bouteilles d'eau sucrée. « Je veux vivre. Je ne suis pas un suicidaire ! », lance-t-il. Mais alors, qu'est-ce qui le fera arrêter sa grève de la faim ? « La signature d'un protocole qui définirait la pose de la première pierre » pour une nouvelle usine. Un silence, puis il murmure : « Je crois qu'on va y arriver. »

source: Sud Ouest - Bruno Dive