Toscane «made in China»
D'un geste mécanique, Giovanni racle les résidus de farine collés au marbre où il a pétri sa pâte. Il maugrée : «Trente-sept ans que je suis là, alors pensez que j'en ai vu, des immigrés. Mais les Chinois, non, ils ne sont pas bien intégrés, sinon ils respecteraient les règles. Faudrait qu'ils comprennent comment vivent les Italiens, sinon il n'y aura jamais de cohabitation sereine entre nous. L'injustice, c'est que l'étranger est mieux traité que nous. Les Italiens n'ont pas tous une maison, alors pourquoi eux en auraient une ?» Au-dehors du rempart médiéval qui enserre la vieille ville de Prato, le Petit Cheval rouge, la pizzeria de Giovanni, est l'une des dernières sentinelles du commerce italien à l'entrée de la via Pistoiese, la rue des Chinois.
C'est là, à 20 kilomètres au nord de Florence, qu'a pris racine et en un temps record la plus grosse communauté chinoise d'Italie. Entre 12 000 et 15 000 migrants, arrivés pour la plupart du Zhejiang depuis le début des années 90. «C'est plus qu'à Milan et à Rome. Avec 15 % d'étrangers par rapport à la population autochtone, Prato est devenu la ville la plus multiethnique du pays», affirme l'adjoint au maire communiste, Andrea Frattani. Et les arrivées se poursuivent, au rythme moyen de dix par jour, des Chinois pour moitié, mais aussi des Albanais, des Pakistanais, des Marocains ou des Roumains. Au total, 32 nationalités se côtoient dans une cité ouvrière de 180 000 habitants. Saisissant condensé d'un boom migratoire qui a métamorphosé l'Italie.
Tandis que les familles italiennes déambulent autour du Duomo pour la passeggiata du dimanche après-midi, une petite foule de Chinois se masse devant le supermarché Xie Xao Lin. Traits rudes et cheveux ras des ruraux récemment débarqués ou brushings décolorés des jeunes fascinés par le look occidental, tous se pressent devant les nombreuses offres d'emploi placardées au mur, affichettes dont ils déchirent les volants annotés d'un numéro de téléphone portable. Du matin au soir, des recruteurs armés de rouleaux de ruban adhésif passent apposer des annonces fraîches. «Nous étions le Manchester d'Italie, aujourd'hui, c'est le Chinatown de Toscane», s'amuse un vieil habitant du quartier.
«Vague jaune» dans les années 90
A quelques kilomètres de là, le prêtre Giovanni Momigli se souvient du malaise suscité dans sa petite paroisse de 3 000 âmes par le déferlement de la première «vague jaune», au début des années 90 : des manifestations de protestation, de la pancarte à l'entrée de San Donnino, recouverte, une nuit, du graffiti «San Pechino» (Saint-Pékin). Aujourd'hui, pourtant, les Chinois font partie du paysage. Dans le plus gros district textile de la péninsule, ils sont même devenus de précieux partenaires du made in Italy. Haut lieu du tissage lainier depuis la fin du XIIe siècle, Prato comme le relate son musée du Tissu a bâti son renom sur «une organisation synonyme de flexibilité et de réponse rapide aux besoins du marché». Frappés par la crise des années 80, les patrons toscans n'ont pas été longs à comprendre les bénéfices qu'ils pouvaient tirer de ces immigrés asiatiques prêts à trimer pour peu. «Il y a toujours eu à Prato une éthique du travail, ce qui fait qu'on respecte les Chinois pour leur dureté à la tâche. Les relations sont correctes, mais se résument strictement au travail», commente le militant antiraciste Celso Barginelli.
Là où les choses se gâtent, c'est que cette diaspora connue pour son esprit entreprenant veut, dès que possible, voler de ses propres ailes. En moins de dix ans, le nombre d'entreprises chinoises pour la plupart unipersonnelles a quadruplé dans la province de Prato, pour atteindre près de deux mille microsociétés, où s'affairent des familles entières, sans souci des horaires. Dans le quartier ouvrier de la via Pistoiese, fouillis de maisonnettes des années 20 et d'anciennes fabriques à l'abandon, les Cinesi ont investi les locaux décatis que leurs propriétaires italiens étaient contents de louer, ou de vendre, à prix d'or. Dans chaque hangar déglingué bourdonnent trois ou quatre ateliers de confection, où hommes et femmes cousent à la machine, sept jours sur sept. Sur des portants s'alignent des dizaines de chemises de mauvais coton. Dans la cour, les ouvriers, dont beaucoup dorment sur leur lieu de travail et ne parlent pas un mot d'italien, font sécher leur pauvre lessive.
De nouvelles pancartes «interdit de cracher»
Tandis que les Albanais louent leurs bras au BTP, le pronto moda (prêt-à-porter) est un passage obligé des Chinois. Les plus doués peuvent y faire fortune. Ainsi, Xu Qiu Lin, quadragénaire parti de rien à Prato en 1990, est aujourd'hui le premier entrepreneur chinois admis à la Confindustria, saint des saints du patronat italien. Sa société, Giupel, fait office de cas d'école, sous-traitant de grandes marques comme Gianfranco Ferré. Xu Qiu Lin qui a italianisé son nom en «Giulin» a dépassé les 15 millions d'euros de chiffre d'affaires dans la mode féminine et les vêtements de cuir, avec moins de 30 employés au siège italien mais 500 ouvriers dans une nouvelle usine près de Shanghai, une chaîne de magasins en Chine et en Italie, et sa propre griffe de prêt-à-porter, qui offre le style italien à des prix incomparablement plus bas.
«Bon nombre de ces immigrés, reprend Celso Barginelli, décrochent finalement en dix ans ce que beaucoup de familles italiennes ne réussiront pas à construire en une vie. Mais quand ils ont de l'argent, des belles voitures, une maison, leur succès est forcément attribué à des choses illégales ou des abus de comportement.» En ville, les cancans vont bon train sur les Chinois. On dit qu'ils font travailler leurs enfants jusqu'à pas d'heure dans la nuit, qu'ils exploitent leurs compatriotes réduits à des années d'esclavage pour rembourser les passeurs, qu'ils escroquent le fisc des taxes et impôts sous lesquels crève le petit entrepreneur italien. Ils sont sales, aussi, et crachent, dit-on encore, si bien que la municipalité s'apprête à installer des pancartes Divieto di sputare «interdit de cracher» , disparues de la péninsule il y a plus de cinquante ans, raconte un journaliste local.
«Ce qu'on dit aujourd'hui de tous ces immigrés, c'est ce que les Américains ou les Australiens disaient des émigrés italiens au début du XXe siècle, sourit Carlo Pieri, éditeur à la retraite, natif de Prato. Les Français eux-mêmes n'ont-ils pas lynché, en 1893 à Aigues-Mortes, une dizaine de saisonniers ritals, accusés de voler le travail des ouvriers des salines ?» Cet épisode sanglant est relaté dans la Horde, un best-seller du journaliste Gian Antonio Stella paru en 2003, qui raconte à ses compatriotes l'époque, pas si lointaine, «où c'est nous qui étions les Albanais», «la lie de la planète». De 1876 à 1976, «le siècle du grand exode a vu 27 millions d'Italiens s'exiler», rappelle Stella, furieux de voir «la xénophobie monter dans une société qui a occulté une partie de son passé».
«Commune pilote» de la multi-ethnicité »
Xénophobes, les Italiens ? Ye Hui Ming, renommé Matteo, se refuse à le dire comme ça. «Prato, souligne-t-il, est une cité hospitalière qui n'a pas oublié d'où elle vient ; 80 % de ses habitants sont eux-mêmes arrivés d'autres régions», surtout de Sicile et des Pouilles, à partir des années 50. Coprésident de l'Anolf, une association d'aide aux migrants créée par le syndicat Cisl (chrétien), Matteo, 26 ans, se considère comme «un des plus fortunés». Après neuf ans sur les bancs de l'école italienne, il maîtrise parfaitement la langue sans avoir perdu la sienne et a trouvé un boulot intéressant. Son autre chance : avoir grandi «dans une ville modèle en matière d'intégration».
Ce n'est pas l'adjoint au maire communiste Andrea Frattani qui lui donnera tort. Chargé de la multiculturalité, il décrit Prato comme «une commune pilote : la seule d'Italie à offrir aux migrants une gamme complète de services destinés à en faire des citoyens à part entière». Ainsi cette mairie de gauche, jumelée à Hangzhou depuis 1987, a-t-elle embauché des interprètes sinophones et mis en place un guichet unique grâce auquel l'immigré obtient son permis de séjour en quinze jours (contre seize semaines d'attente en moyenne dans le reste du pays et même onze mois à Rome, comme l'attestent les chiffres fournis par l'association caritative catholique Caritas). Autre originalité, le partenariat noué en 1994 entre la commune et l'université de Florence, de sorte qu'un groupe de chercheurs se consacre à l'analyse, tant sociologique que statistique, de cette multiethnicité en essor.
Hormis une tirade de Silvio Berlusconi sur son «refus de voir l'Italie devenir un pays multiethnique et multiculturel», l'actuelle campagne électorale ne s'est pas attardée, comme en 2001, sur le thème de l'immigration associée à l'insécurité. «Pour la droite, rigole Andrea Frattani, ce serait un autogoal [un but contre son camp, ndlr] ! Car le nombre d'immigrés a doublé alors qu'elle dénonçait le laxisme de la gauche.» Les chiffres sont impressionnants : en seulement cinq ans, la population immigrée est passée de 1,5 à 3,3 millions, dont environ 500 000 clandestins, et ce malgré les restrictions de la loi Bossi-Fini.
Après cinq plans de régularisation en vingt ans, le pays teste un système de quotas annuels selon le nombre d'emplois à pourvoir. Le mois dernier, les Italiens ont ainsi vu un demi-million de sans-papiers faire la queue toute la nuit devant les bureaux de poste, dans l'espoir de décrocher un des 170 000 permis de séjour offerts cette année.
Le nez rivé sur ces vains efforts de régulation des flux, «tous les partis, qu'ils soient de droite ou de gauche, en restent à une vision préhistorique de l'immigration, sans réflexion sur le type de société que nous voulons bâtir», enrage Andrea Frattani. Le cauchemar de cet élu communiste, «ce sont les 5 000 mineurs étrangers résidant à Prato, et dont huit sur dix arrêtent l'école à 16 ans, sans se sentir ni Italiens, ni Albanais, ni Pakistanais ou Chinois. Cette génération d'exclus est une bombe à retardement qui risque d'être dévastatrice».
Cette angoisse, Romano Prodi, le leader de l'opposition de centre gauche italienne, dit d'ailleurs la partager. Lors de l'explosion des banlieues françaises, en novembre dernier, le challenger de Berlusconi voyait l'Italie bientôt vouée à «avoir de nombreux Paris». «C'est seulement une question de temps», dit-il.
source : Nathalie DUBOIS - Libération du 6 avril 2006
C'est là, à 20 kilomètres au nord de Florence, qu'a pris racine et en un temps record la plus grosse communauté chinoise d'Italie. Entre 12 000 et 15 000 migrants, arrivés pour la plupart du Zhejiang depuis le début des années 90. «C'est plus qu'à Milan et à Rome. Avec 15 % d'étrangers par rapport à la population autochtone, Prato est devenu la ville la plus multiethnique du pays», affirme l'adjoint au maire communiste, Andrea Frattani. Et les arrivées se poursuivent, au rythme moyen de dix par jour, des Chinois pour moitié, mais aussi des Albanais, des Pakistanais, des Marocains ou des Roumains. Au total, 32 nationalités se côtoient dans une cité ouvrière de 180 000 habitants. Saisissant condensé d'un boom migratoire qui a métamorphosé l'Italie.
Tandis que les familles italiennes déambulent autour du Duomo pour la passeggiata du dimanche après-midi, une petite foule de Chinois se masse devant le supermarché Xie Xao Lin. Traits rudes et cheveux ras des ruraux récemment débarqués ou brushings décolorés des jeunes fascinés par le look occidental, tous se pressent devant les nombreuses offres d'emploi placardées au mur, affichettes dont ils déchirent les volants annotés d'un numéro de téléphone portable. Du matin au soir, des recruteurs armés de rouleaux de ruban adhésif passent apposer des annonces fraîches. «Nous étions le Manchester d'Italie, aujourd'hui, c'est le Chinatown de Toscane», s'amuse un vieil habitant du quartier.
«Vague jaune» dans les années 90
A quelques kilomètres de là, le prêtre Giovanni Momigli se souvient du malaise suscité dans sa petite paroisse de 3 000 âmes par le déferlement de la première «vague jaune», au début des années 90 : des manifestations de protestation, de la pancarte à l'entrée de San Donnino, recouverte, une nuit, du graffiti «San Pechino» (Saint-Pékin). Aujourd'hui, pourtant, les Chinois font partie du paysage. Dans le plus gros district textile de la péninsule, ils sont même devenus de précieux partenaires du made in Italy. Haut lieu du tissage lainier depuis la fin du XIIe siècle, Prato comme le relate son musée du Tissu a bâti son renom sur «une organisation synonyme de flexibilité et de réponse rapide aux besoins du marché». Frappés par la crise des années 80, les patrons toscans n'ont pas été longs à comprendre les bénéfices qu'ils pouvaient tirer de ces immigrés asiatiques prêts à trimer pour peu. «Il y a toujours eu à Prato une éthique du travail, ce qui fait qu'on respecte les Chinois pour leur dureté à la tâche. Les relations sont correctes, mais se résument strictement au travail», commente le militant antiraciste Celso Barginelli.
Là où les choses se gâtent, c'est que cette diaspora connue pour son esprit entreprenant veut, dès que possible, voler de ses propres ailes. En moins de dix ans, le nombre d'entreprises chinoises pour la plupart unipersonnelles a quadruplé dans la province de Prato, pour atteindre près de deux mille microsociétés, où s'affairent des familles entières, sans souci des horaires. Dans le quartier ouvrier de la via Pistoiese, fouillis de maisonnettes des années 20 et d'anciennes fabriques à l'abandon, les Cinesi ont investi les locaux décatis que leurs propriétaires italiens étaient contents de louer, ou de vendre, à prix d'or. Dans chaque hangar déglingué bourdonnent trois ou quatre ateliers de confection, où hommes et femmes cousent à la machine, sept jours sur sept. Sur des portants s'alignent des dizaines de chemises de mauvais coton. Dans la cour, les ouvriers, dont beaucoup dorment sur leur lieu de travail et ne parlent pas un mot d'italien, font sécher leur pauvre lessive.
De nouvelles pancartes «interdit de cracher»
Tandis que les Albanais louent leurs bras au BTP, le pronto moda (prêt-à-porter) est un passage obligé des Chinois. Les plus doués peuvent y faire fortune. Ainsi, Xu Qiu Lin, quadragénaire parti de rien à Prato en 1990, est aujourd'hui le premier entrepreneur chinois admis à la Confindustria, saint des saints du patronat italien. Sa société, Giupel, fait office de cas d'école, sous-traitant de grandes marques comme Gianfranco Ferré. Xu Qiu Lin qui a italianisé son nom en «Giulin» a dépassé les 15 millions d'euros de chiffre d'affaires dans la mode féminine et les vêtements de cuir, avec moins de 30 employés au siège italien mais 500 ouvriers dans une nouvelle usine près de Shanghai, une chaîne de magasins en Chine et en Italie, et sa propre griffe de prêt-à-porter, qui offre le style italien à des prix incomparablement plus bas.
«Bon nombre de ces immigrés, reprend Celso Barginelli, décrochent finalement en dix ans ce que beaucoup de familles italiennes ne réussiront pas à construire en une vie. Mais quand ils ont de l'argent, des belles voitures, une maison, leur succès est forcément attribué à des choses illégales ou des abus de comportement.» En ville, les cancans vont bon train sur les Chinois. On dit qu'ils font travailler leurs enfants jusqu'à pas d'heure dans la nuit, qu'ils exploitent leurs compatriotes réduits à des années d'esclavage pour rembourser les passeurs, qu'ils escroquent le fisc des taxes et impôts sous lesquels crève le petit entrepreneur italien. Ils sont sales, aussi, et crachent, dit-on encore, si bien que la municipalité s'apprête à installer des pancartes Divieto di sputare «interdit de cracher» , disparues de la péninsule il y a plus de cinquante ans, raconte un journaliste local.
«Ce qu'on dit aujourd'hui de tous ces immigrés, c'est ce que les Américains ou les Australiens disaient des émigrés italiens au début du XXe siècle, sourit Carlo Pieri, éditeur à la retraite, natif de Prato. Les Français eux-mêmes n'ont-ils pas lynché, en 1893 à Aigues-Mortes, une dizaine de saisonniers ritals, accusés de voler le travail des ouvriers des salines ?» Cet épisode sanglant est relaté dans la Horde, un best-seller du journaliste Gian Antonio Stella paru en 2003, qui raconte à ses compatriotes l'époque, pas si lointaine, «où c'est nous qui étions les Albanais», «la lie de la planète». De 1876 à 1976, «le siècle du grand exode a vu 27 millions d'Italiens s'exiler», rappelle Stella, furieux de voir «la xénophobie monter dans une société qui a occulté une partie de son passé».
«Commune pilote» de la multi-ethnicité »
Xénophobes, les Italiens ? Ye Hui Ming, renommé Matteo, se refuse à le dire comme ça. «Prato, souligne-t-il, est une cité hospitalière qui n'a pas oublié d'où elle vient ; 80 % de ses habitants sont eux-mêmes arrivés d'autres régions», surtout de Sicile et des Pouilles, à partir des années 50. Coprésident de l'Anolf, une association d'aide aux migrants créée par le syndicat Cisl (chrétien), Matteo, 26 ans, se considère comme «un des plus fortunés». Après neuf ans sur les bancs de l'école italienne, il maîtrise parfaitement la langue sans avoir perdu la sienne et a trouvé un boulot intéressant. Son autre chance : avoir grandi «dans une ville modèle en matière d'intégration».
Ce n'est pas l'adjoint au maire communiste Andrea Frattani qui lui donnera tort. Chargé de la multiculturalité, il décrit Prato comme «une commune pilote : la seule d'Italie à offrir aux migrants une gamme complète de services destinés à en faire des citoyens à part entière». Ainsi cette mairie de gauche, jumelée à Hangzhou depuis 1987, a-t-elle embauché des interprètes sinophones et mis en place un guichet unique grâce auquel l'immigré obtient son permis de séjour en quinze jours (contre seize semaines d'attente en moyenne dans le reste du pays et même onze mois à Rome, comme l'attestent les chiffres fournis par l'association caritative catholique Caritas). Autre originalité, le partenariat noué en 1994 entre la commune et l'université de Florence, de sorte qu'un groupe de chercheurs se consacre à l'analyse, tant sociologique que statistique, de cette multiethnicité en essor.
Hormis une tirade de Silvio Berlusconi sur son «refus de voir l'Italie devenir un pays multiethnique et multiculturel», l'actuelle campagne électorale ne s'est pas attardée, comme en 2001, sur le thème de l'immigration associée à l'insécurité. «Pour la droite, rigole Andrea Frattani, ce serait un autogoal [un but contre son camp, ndlr] ! Car le nombre d'immigrés a doublé alors qu'elle dénonçait le laxisme de la gauche.» Les chiffres sont impressionnants : en seulement cinq ans, la population immigrée est passée de 1,5 à 3,3 millions, dont environ 500 000 clandestins, et ce malgré les restrictions de la loi Bossi-Fini.
Après cinq plans de régularisation en vingt ans, le pays teste un système de quotas annuels selon le nombre d'emplois à pourvoir. Le mois dernier, les Italiens ont ainsi vu un demi-million de sans-papiers faire la queue toute la nuit devant les bureaux de poste, dans l'espoir de décrocher un des 170 000 permis de séjour offerts cette année.
Le nez rivé sur ces vains efforts de régulation des flux, «tous les partis, qu'ils soient de droite ou de gauche, en restent à une vision préhistorique de l'immigration, sans réflexion sur le type de société que nous voulons bâtir», enrage Andrea Frattani. Le cauchemar de cet élu communiste, «ce sont les 5 000 mineurs étrangers résidant à Prato, et dont huit sur dix arrêtent l'école à 16 ans, sans se sentir ni Italiens, ni Albanais, ni Pakistanais ou Chinois. Cette génération d'exclus est une bombe à retardement qui risque d'être dévastatrice».
Cette angoisse, Romano Prodi, le leader de l'opposition de centre gauche italienne, dit d'ailleurs la partager. Lors de l'explosion des banlieues françaises, en novembre dernier, le challenger de Berlusconi voyait l'Italie bientôt vouée à «avoir de nombreux Paris». «C'est seulement une question de temps», dit-il.
source : Nathalie DUBOIS - Libération du 6 avril 2006
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