28.4.06

L'Europe a-t-elle perdu la guerre des idées ?

Soucieuse d'être comprise par le plus grand nombre, Thérèse Delpech a choisi de s'exprimer dans un langage simple et direct, mais dans un style élégant. N'oublions pas qu'en plus d'être chercheur, l'auteur est agrégé de philosophie. Voilà un parcours peu banal qui transparaît dans son discours qu'elle égrène -quitte à en abuser- de citations philosophiques et de nombreuses références scientifiques.
Fervente admiratrice de Paul Valery et de Raymond Aron qu'elle cite à de nombreuses reprises (il est clair qu'elle n'est pas de ceux qui affirment qu'il " vaut mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron "...) elle fait également référence à Hannah Arendt, Tocqueville, Nietzsche, Freud, Orwell, Diderot, Clausewitz, Schopenhauer ou Oppenheimer.

Delpech propose des clés pour comprendre le monde actuel et les menaces qui pèsent sur lui. Les arguments qu'elle avance semblent réalistes, intelligents et, si son essai n'est pas très optimiste, elle ne joue pas pour autant les Cassandre. Elle démontre ce qu'elle avance avec des arguments assez convaincants, mais fait montre d'un parti-pris parfois sujet à caution. En revanche, elle propose des solutions ou, tout au moins, différents scenarii possibles pour tenter d'éviter le pire... puisque le pire n'est jamais sûr.

Rapprocher la politique de l'éthique
Dès le prologue, le ton est donné : " La politique ne pourra pas être réhabilitée sans une réflexion éthique. Sans elle, de surcroît, nous n'aurons ni la force de prévenir les épreuves que le siècle nous prépare, ni surtout d'y faire face si par malheur nous ne savons pas les éviter.(...) Rapprocher la politique de l'éthique est un devoir envers les vivants. Mais c'est aussi un devoir envers les morts. ". La question de la " vérité " est posée. Pour conjurer le " mauvais " sort qui pourrait -soixante ans après la dernière guerre mondiale- s'abattre à nouveau sur l'humanité, le devoir de mémoire paraît indispensable. Et ce travail de mémoire ne doit pas se limiter pas au souvenir des génocides commis au nom du nazisme ; il doit être effectué aussi pour tous les autres massacres. Ceux perpétrés au nom de l'idéal soviétique et de " l'égalité des conditions " ; les dizaines de millions de morts au nom du " Grand Bond en avant " et à la Révolution culturelle chinoise tout comme le massacre d'un tiers du peuple cambodgien par les Khmers rouge. " Un des grands problèmes de la Russie -et plus encore de la Chine- est que, contrairement aux camps de concentration hitlériens, les leurs n'ont jamais été libérés et qu'il n'y a eu aucun tribunal de Nuremberg pour juger les crimes commis. " écrit-elle. Si tel avait été le cas, je doute que nos anciens " soixante huitard " dont beaucoup ont fini notaires... (comme l'avait prévu Marcel Jouhandeau en 68) politiciens ou directeurs de journaux, oseraient encore revendiquer leur passé maoïste ou trotskyste.

L'Occident a toujours pris le parti des dirigeants contre le peuple
Comme le souligne l'auteur à propos des " 20 crises oubliées : de l'Ouganda à la Corée du Nord " le " devoir d'intervention, la responsabilité de protéger les peuples " prôné par Kofi Annan, Secrétaire général de L'ONU, risque bien de rester lettre morte face à l'impuissance, pour ne pas dire l'indifférence, des pays occidentaux : " A quoi bon demander à ceux qui ne portent qu'un regard distrait sur les événements dramatiques qui se produisent sous leurs yeux de se projeter dans les 20 prochaines années pour y puiser quelque norme de prudence capable de protéger les individus qui viendront après eux ? ". Qui s'élève, en effet, aujourd'hui contre les tragédies du Darfour (au moins 200.000 morts), de la Tchétchénie (au moins 300.000 morts), les hôpitaux psychiatriques où pourrissent les dissidents chinois et les camps spéciaux en Corée du Nord? Le XXème siècle est décrit comme le plus meurtrier de tous : " une des causes principales de cette régression a été la dynamique de la passion égalitaire(...) C'est en son nom que certains des plus grands crimes ont été commis en Russie, en Chine, en Corée du Nord ou au Cambodge. La rapidité avec laquelle la liberté lui a été sacrifiée, l'ampleur des souffrances humaines qui lui ont été consenties, la complicité d'une partie du " monde libre ", figurent parmi les plus grands désastres humains. ". Et de faire les comptes, après avoir rappelé que "Pour la Chine comme pour la Russie, l'Occident a toujours pris le parti des dirigeants contre le peuple. Chaque fois qu'un nouveau potentat écrasait le peuple, il a été salué par les gouvernements et les intellectuels " constate-t-elle amère.
" Entre l'URSS, la Chine, le Cambodge et le Vietnam, on compte 100 millions de morts. Ajoutons les tragédies oubliées, comme celle du million de morts afghans à la fin de l'opération soviétique. Mais ce ne sont là que des statistiques, comme on en cite depuis la fin de la guerre froide : 150.000 morts en Algérie, 180.000 morts et 20.000 disparus en Bosnie, 200.000 morts en Tchétchénie, un million de morts au Rwanda, autant au Congo, plus de 300.000 morts au Darfour(...) Ceux qui se trouvent dans les camps nord-coréens (plus de 250.000 personnes) sont, parmi les martyrs actuels, les plus difficiles à faire parler et ceux auxquels on pense le moins souvent. ".

1905 - 2005 : des signaux forts annonciateurs d'orage
En plus de l'appeler à la raison, Delpech rappelle l'Europe à l'ordre : " Ce qui se joue à présent, c'est la capacité de l'Europe à assumer des responsabilités internationales dans un monde profondément troublé. ". Elle établit un parallèle entre l'année 1905 et 2005 : " La fin de la pièce ouverte en 1914 a peut-être été fixée un peu vite au moment de la chute de l'URSS(...) Mais la scène de cette pièce était dans le monde, non l'Europe, et il n'y a pas encore eu de dénouement dans la partie asiatique(...) Des deux guerres mondiales, on ne retient que l'histoire occidentale(...) Dans une autre partie du globe, c'est une autre lecture qui prévaut avec l'occupation japonaise, l'avance des troupes soviétiques en Extrême-Orient, la révolution chinoise, le repli du Kuo-Min-Tang à Taïwan, puis la guerre de Corée(...) On limite la planète à notre monde et on s'interdit de comprendre les défis stratégiques les plus importants de notre époque, qui ne sont plus en Europe (...) Savoir si la guerre froide était un substitut de la guerre ou une préparation à la guerre totale ".
Cette approche me semble d'autant plus intéressante et originale que la plupart des observateurs actuels ont plutôt tendance à comparer le début du XXIème siècle avec les années 1920/1930 marquées par leur lot de frustrations teintées d'un nationalisme revanchard.
En 1905, des " signaux forts " étaient annonciateurs d'orage : la guerre russo-japonaise et l'effondrement de l'empire russe avec la 1ère révolution russe ; la montée du militarisme japonais, la première crise marocaine entre la France et l'Allemagne, la montée du rôle de l'Amérique dans les affaires mondiales (au détriment de l'Angleterre). " 1905 a été une des années les plus dramatiques du XXème siècle " souligne l'auteur. " Des erreurs majeures ont été nécessaires dans plus d'une capitale européenne pour que la machine infernale se mette en route " écrit-elle en attirant notre attention sur l'Asie orientale " où la situation fait souvent penser aux rivalités européennes du siècle dernier. ".
Tout au long de son livre, elle insistera sur les coups de force de la Chine quand d'autres préfèrent parler de " montée en puissance pacifique " en vantant l'économie triomphante et porteuse de liberté... Pendant que l'Europe ménage la Chine pour préserver ses intérêts économiques " Les nuages qui s'amoncellent à l'horizon sont déjà perceptibles " affirme-t-elle. " Cela n'empêche pas d'envoyer à Pékin les plus mauvais signaux, qu'il s'agisse de la multipolarité, des ventes d'armes ou de lâches avertissements adressés à Taïwan, plutôt qu'à la Chine. ".
Cette obsession du réarmement de la Chine et des droits de l'Homme bafoués en toute impunité apparaît comme un fil conducteur sous la plume de l'auteur. Mais la question du respect des droits de l'Homme n'est pas fondamentale en Chine seulement. Cette question n'est visiblement pas encore réglée sur la base militaire de Guantanamo... Or, l'auteur n'évoque à aucun moment les milliers de prisonniers retenus arbitrairement dans les geôles américaines. Pas plus qu'au moment de faire les comptes, elle n'estime nécessaire de rappeler le rôle des Etats-Unis à Cuba, au Nicaragua, au Salvador ou au Honduras. On s'interroge naturellement sur son silence à ce sujet. L'explication vraisemblable est que Thérèse Delpech refuse de placer sur le même plan les Etats-Unis et la Chine au motif que l'Amérique se battrait partout dans le monde "pour la démocratie". A voir...
Est-ce de "l'anti-américanisme primaire" que de dénoncer aussi les manquements graves d'un pays démocratique ? Ce manque d'objectivité semble servir une cause idéologique : le soutien sans réserve à la politique des Etats-Unis contre la barbarie (au nom de la démocratie et de la liberté) ou plus exactement contre les nouveaux " Barbares " qu'incarneraient à ses yeux tous ceux (majoritairement en Asie et au Moyen-Orient) qui ne partagent pas les valeurs occidentales. Cette vision réductrice du monde moderne et de ses troubles dessert un discours qui se réclame pourtant de l'éthique et de l'analyse objective.

L'Europe s'enferme dans le déni de réalité
Le danger que représente, pour le reste du monde, ce qu'elle nomme " la poudrière iranienne " dans son prochain livre est un autre sujet récurrent avec la question du terrorisme qui reposerait, selon elle, sur " le mécontentement de sociétés qui n'obtiennent rien de leurs gouvernements et accusent des volontés malfaisantes extérieures où l'Occident figure en première place et l'apparition de nouvelles puissances sur la scène mondiale. ". Elle n'hésite pas à parler de " volonté de revanche d'Etats sur l'Occident qui a, de leur point de vue, trop longtemps imposer sa loi au reste du monde(...) L'Inde, la Chine ou l'Iran feront écouter leur voix. Le problème est moins de contenir leurs ambitions que de leur donner une forme qui ne trouble pas la paix régionale et mondiale. Au XXème siècle, c'est exactement ce que l'on n'a pas sur faire avec la montée de l'Allemagne. On connaît les conséquences de cette faute " s'inquiète-t-elle. " La crainte de la désagrégation interne des sociétés européennes joue un rôle majeur dans le déni de la réalité terroriste.(...) Retrouver le sens de la réalité ne peut se faire sans un effort de mémoire. ".
L'Europe, traumatisée par les guerres du passé, effrayée à l'idée que l'Histoire puisse se répéter ne veut pas -ou ne peut pas- envisager la possibilité du retour de la guerre dans notre société " blasée, recroquevillée sur ses privilèges. Le refus du risque domine tout autre sentiment ". " En Europe, peu nombreux sont ceux qui comprennent à quel point les événements de l'année 1905 se succèdent comme autant d'avertissements des grands drames à venir. ". Pour l'auteur, le même aveuglement se répète en 2005 : l'Europe s'enferme dans le déni de réalité. " L'inquiétude et l'angoisse ont rarement été aussi perceptibles(...) Un terme brutal peut être mis à la prospérité, l'hédonisme et la tranquillité de la péninsule européenne(...) La négation des catastrophes a dans le monde occidental une longue tradition. Il n'a pour ainsi dire rien vu venir : ni la révolution russe, ni la révolution chinoise, ni les deux guerres mondiales, ni l'extermination des Juifs, ni la révolution culturelles chinoise, ni la tragédie cambodgienne, ni la chute des cent étages du WTC. ".
Si l'on en croit l'auteur, l'Europe a fait le choix de la sortie de l'histoire en laissant le soin aux Etats-Unis et à la Chine d'écrire l'histoire. Pourtant, il serait illusoire de penser que l'Europe est à l'abri. Elle est devenue " provinciale " : " Ce provincialisme résulte de la perte des empires coloniaux de l'Europe, qui a resserré sa vision de la planète, et de son incapacité à assurer sa sécurité pendant une cinquantaines d'années. ".
Pire encore : l'Europe, naguère influente sur le reste du monde, a perdu la guerre des idées. L'Europe " aurait-elle perdu le sens de l'appel de la liberté et des valeurs de la démocratie qui ont pris naissance chez elle ?(...) Son problème, après avoir été le grand pourvoyeur d'idées dans le monde, c'est de devoir reconnaître que les idées ne naissent plus chez elle et que celles qui lui restent n'ont plus assez de force pour la convaincre. Comment pourrait-elle dans ces conditions influencer les autres ?(...) L'Europe se conduit comme si les problèmes n'existaient que lorsque les Etats-Unis les posent(...) L'exceptionnelle perte d'influence des Européens dans les affaires du monde en un siècle seulement en devient frappante. ".

Le terrorisme international sera toujours là dans vingt ans
Dans ce contexte, il semble évident à l'auteur que " les chances d'avoir à lutter contre le terrorisme international en 2025 sont élevées(...) Les terroristes misent sur la durée qui opposent la patience à " notre inconstance, à notre soif d'en finir. ". L'auteur pense que les terroristes veulent " un bouleversement de l'organisation du monde " et " Le fait qu'ils agitent des utopies ne diminue pas leur influence, au contraire.(...) Elles (ces utopies) font appel à l'imagination et à la passion comme ne savent plus le faire les politiques au pouvoir.(...) La principale faiblesse du camp occidental est celle que manifeste la bataille des idées. Elle n'a jamais été lancée de notre côté, alors qu'elle ne cesse de progresser du côté des islamistes (qui) savent très habilement convertir en énergie politique les frustrations de la jeunesse. ". Si l'on en croit Delpech : " Nous ne croyons pas suffisamment à nos valeurs pour les enseigner et moins encore pour les défendre(...) Ni le vide intellectuel et spirituel du monde contemporain, ni la violence partout présente ne portent à l'optimisme en 2005. ".
L'heure est grave. " La conviction que le terrorisme international sera toujours là dans vingt ans peut avoir des significations très différentes si l'un des événements suivants se produit : la prise du pouvoir par les islamistes au Pakistan (qui détient l'arme atomique), en Arabie saoudite (lutte pour le contrôle du pétrole) ou dans un pays du Maghreb (risque d'émigration massive vers l'Europe) ; l'utilisation par les terroristes d'armes de destruction massive ; une attaque majeure en Europe plus meurtrière encore que ne l'a été Madrid " (glissement vers l'extrémisme et le populisme).
Pour l'auteur, dans deux décennies, en plus du terrorisme, se posera la question de la prolifération des armes de destruction massive, notamment en Iran dont l'Occident a sous-estimé les activités clandestines à des fins militaires, et en Corée du Nord. Si ces pays possèdent l'arme nucléaire : " Comment réagiront les pays arabes et Israël au Moyen-Orient ? Le Japon et Taïwan en Extrême-Orient ? La réunification de la péninsule coréenne consacrera-t-elle la nouvelle situation ainsi créée ? Comment la Chine utilisera cette carte dans ses relations avec Washington ? Les réponses à ces questions peuvent décider de la guerre ou de la paix. ".

Chine, Inde : de nouvelles puissances apparaissent
Comme si cela ne suffisait pas, l'auteur décrit un troisième scenario possible : " Avec le terrorisme et la prolifération, le troisième pari pour la sécurité internationale en 2025 porte sur l'évolution de relations sino-américaines. Dans les vingt ans qui viennent, la Chine peut connaître une transition paisible vers la démocratie, un coup d'état militaire ou une guerre avec Taïwan(...) Vingt ans, c'est la période dont la Chine a besoin pour moderniser son armée(...) Elle se prépare depuis des années à remplacer l'URSS dans son rôle de superpuissance face aux Etats-Unis(...) On peut certes rêver à l'avènement progressif d'une Chine pluraliste(...) Mais ce n'est pas la lecture à laquelle invite l'année 2005 et le réalisme conduit plutôt à retenir le nationalisme comme seule force qui rassemble la population (...) Il ne faut pas négliger les relations des nombreux pays du Moyen Orient avec la Corée du Nord et l'alliance possible de l'Iran et de la Chine. ".
" La Chine pense que Washington ne sacrifiera pas Los Angeles à Taïwan ; les Etats-Unis que Pékin ne sacrifiera pas vingt ou trente années de développement économique pour Taipei ; et Taïwan croit qu'elle peut mettre Pékin devant le fait accompli sans en payer les conséquences. Ce sont trois erreurs dangereuses. Si un conflit a lieu, la réaction des alliés des Etats-Unis, notamment en Europe, est un profond mystère. ".
S'ajoute à cela que " Le XXIè siècle verra aussi l'apparition de nouvelles puissances, comme l'Inde, dont il faut mesurer comment elle va gérer ses relations futures avec la Chine(...) Un scenario à l'horizon 2025 pourrait opposer une Chine affaiblie économiquement et socialement à une Inde beaucoup plus confiante en elle-même(...) Pékin peut être placé dans une situation impossible le jour où la population découvrira que l'Inde est en train de prendre le dessus. ".

Que fait l'Europe pour soutenir la démocratie dans le monde ?
L'auteur s'inquiète également de la " régression " de la Russie sur laquelle elle porte un regard extrêment sévère : " Les capacités d'exportation d'instabilité de la Russie dans le reste du monde augmentent. Le pays est devenu imprévisible. (La Russie) a démontré son incompétence en 2004 et 2005 avec la tragédie de Beslan, les erreurs grossières d'appréciation en Ukraine et la surprise qui a suivi le renversement du président Akaïev au Kirghizistan." A propos de Poutine, elle parle de " volonté de restauration impériale ". " Pendant la crise en Ukraine, Vladimir Poutine a repris le langage soviétique. ". Au sujet de la Tchétchénie, elle observe avec impuissance : " une histoire effroyable dont les Européens ne veulent pas entendre parler : la destruction systématique de la Tchétchénie(...) C'est aussi la Tchétchénie qui justifie les mesures autoritaires et policières prises en Russie. ". Pour l'auteur " La Russie est entrée dans une phase d'auto destruction qui tient à la médiocre qualité des élites au pouvoir(...) dirigée par la partie la plus imprévisible et la plus corrompue des services spéciaux. ".
Ukraine, Taïwan : même combat ? " Que fait l'Europe pour soutenir les forces démocratiques dans cette partie du monde ? " interroge encore Thérèse Delpech. " La fin de l'URSS est la possibilité pour la Russie de devenir une démocratie occidentale comme les autres, en abandonnant définitivement les rêves de restauration impériale condamnés à l'échec. ".
Quant à Taïwan : " il serait normal" dit-elle "non seulement de cesser de répéter à toute occasion que Taïwan est une province chinoise sans tenir compte de l'histoire, mais aussi de soutenir cette Chine démocratique qui fait la démonstration que les valeurs (la liberté et la démocratie) qui sont les nôtres ont leur place dans cette partie du monde. ".
Jusqu'à la chute du mur, au nom de la stabilité politique -" maître mot de la diplomatie de la guerre froide "- l'Occident a fait le choix de l'injustice contre le désordre : " Les pays occidentaux sont les seuls à croire que les droits de l'Homme ont progressé ailleurs que sur le papier. ". " On en est toujours là. Les manifestations populaires ne cessent de se multiplier dans les provinces chinoises pour protester contre la corruption dans un pays où beaucoup de paysans ont à nouveau faim(...) Il faudra sans doute une crise économique sérieuse et des troubles sociaux d'une toute autre ampleur pour que l'on commence à s'intéresser aux Chinois(...) L'économie chinoise est le seul domaine qui fasse l'objet d'un suivi sérieux en Europe. ". Malheureusement, à ce jour, " le besoin d'ordre continue à être perçu comme un objectif supérieur au besoin de justice et la survie des Etats est toujours plus urgente que celle des populations dont ils ont la charge. ".

Sommes-nous à la veille de " quelque chose " ?
L'exercice auquel se prête ici l'auteur est difficile et sera sans aucun doute controversé. Chacun sait que les batailles d'experts sont les pires et qu'un habile orateur est capable de démontrer tout et son contraire... Souvenons-nous du philosophe Callisthène qui, après avoir fait l'éloge des Macédoniens, est prié par Alexandre après d'en faire une critique féroce (" Si on fait choix pour son discours d'un beau sujet, on peut sans effort bien en parler... " disait déjà Euripide). Callisthène s'applique alors à dénoncer avec une telle franchise les défauts des Macédoniens qu'il attire sur lui la foudre de ceux qui l'applaudissaient l'instant d'avant...
Qu'on partage ou non la vision du monde à venir de Thérèse Delpech, c'est-à-dire " le retour à la barbarie au XXIè siècle " avec un nouvel " ensauvagement " des Européens, la question mérite d'être posée : " Sommes-nous à la veille de quelque chose ? " comme en 1905. Ce qui est certain c'est que la prudence devrait nous inciter à réfléchir aux mauvais présages que l'on voit poindre un peu partout en ce début de IIIème millénaire. Comme le rappelle avec à propos l'auteur : " Les esprits les plus éclairés et les tempéraments les mieux trempés ne devraient pas se permettre d'oublier les " frères humains qui après nous vivront " dont François Villon espérait la miséricorde dans sa magnifique " Ballade des pendus ".

Source: Véronique Anger - Les Di@logues Stratégiques