L'argent a-t-il une odeur ?
Il était une fois un empereur romain issu de la plèbe, grand organisateur et redresseur des finances impériales dilapidées par Néron sous le règne duquel eut lieu le grand incendie de Rome. Vespasien régna de 69 à 79 après J.-C. et, en « bon » gouvernant, n'eut de cesse de multiplier les taxes et impôts. L'un d'eux devait faire florès à double titre. Il s'agit de l'impôt sur les urines, humaines et animales, collectées dans de grandes urnes d'argile et utilisées par les teinturiers comme source d'ammoniac pour traiter les peaux et fixer les teintures. Sous le nez de son fils, Titus, qui protestait contre cette taxe nauséabonde dont se moquait le peuple, Vespasien aurait agité des pièces de monnaie en disant : « Non olet », « cela ne sent rien ». D'où l'expression « pecunia non olet », « l'argent n'a pas d'odeur ».
Dix-sept siècles plus tard, les « barils d'aisance », disposés aux quatre coins des rues de Paris, devinrent de petites constructions sous l'impulsion du comte Claude-Philibert de Rambuteau. D'abord appelées « colonnes Rambuteau », ces toilettes publiques devinrent très vite les fameuses « vespasiennes ». Mais Vespasien avait tort. L'argent a bel et bien une odeur. Et une étude récente de chercheurs allemands apporte de surprenants éclaircissements et un début d'explication paradoxale : les pièces de monnaie ont une odeur bien qu'elles ne sentent rien.
Mais tout d'abord, qu'est-ce qu'une odeur ? On pourrait dire que c'est le souvenir d'une rencontre avec une molécule volatile. Il en existe quelque 300 000 différentes. Et l'homme est en moyenne capable d'en distinguer 10 000. Le bourdon, par exemple, monte, lui, à 30 000. Le système olfactif est un peu comme un « oeil » muni de millions de facettes capable de « voir » les molécules volatiles. Transportées par l'air, elles atteignent la muqueuse olfactive (4 à 5 cm2 de tissu au fond des fosses nasales). Les cellules de cette muqueuse portent à leur surface des récepteurs qui sont comme des serrures, chaque cellule ayant son propre type de serrures. L'homme possède environ un millier de serrures différentes réparties sur 10 millions de cellules olfactives (contre 1 milliard chez le chien). La molécule volatile odoriférante joue le rôle de clé. Lorsqu'elle trouve « sa » serrure, elle s'y insère. Ceci déclenche, dans le neurone correspondant, un signal électrique qui va gagner le bulbe olfactif du cerveau. Là se trouve un millier de « centres intégrateurs » qui vont « classer » ces informations puis les envoyer au cortex cérébral. Là, elles seront combinées pour former un « motif odorant » qui sera classé dans deux grands « classeurs », les bonnes et les mauvaises odeurs.
Mais pour pouvoir reconnaître un aussi grand nombre d'odeurs, le système olfactif s'est fait mathématicien. Attention les neurones. L'équation de base est : un récepteur olfactif (la serrure) peut reconnaître plusieurs molécules odorantes (les clés) et une même molécule odorante peut être reconnue par plusieurs récepteurs olfactifs. La reconnaissance de l'odeur va donc se faire par la combinatoire. Comme si le souvenir d'une odeur était un coffre dont la combinaison d'ouverture est l'activation d'un certain nombre de neurones olfactifs bien précis. Si chaque récepteur peut s'activer pour trois molécules différentes et qu'il y ait un millier de récepteurs différents, plusieurs millions de combinaisons d'identification sont possibles. Les découvreurs de ce système, les chercheurs Richard Axel et Linda Buck ont d'ailleurs reçu le prix Nobel de médecine 2004.
La reconnaissance d'une odeur est aussi liée à sa concentration. En la matière, l'homme n'est pas champion du flair. Les chiens ont une capacité à détecter une odeur de 300 à 10 000 fois plus faible que l'homme et les rats de 8 à 50 fois. Les poissons, les insectes, les oiseaux sont également de « grands nez », contrairement (est-ce étonnant ?) aux mammifères marins, dauphins et baleines. Chez l'homme, au seuil de détection en dessous duquel on est « aveugle » aux odeurs se produit le phénomène que l'on appelle l'« odeur indéfinissable ». Comme si l'image mentale de l'odeur était floue. On ne peut mettre un nom dessus.
La subtilité du système olfactif ne s'arrête pas là comme viennent de le démontrer des chercheurs allemands du Virginia Tech de Blacksburg. Ils ont ainsi analysé l'odeur émise lorsqu'un humain touche des pièces de monnaie ou tout autre élément métallique. Chacun connaît cette « odeur métallique » caractéristique. Mais l'analyse a montré qu'il n'y avait en fait aucune molécule proprement métallique dans cette odeur qui n'est donc qu'une illusion. Celle-ci est créée par des réactions chimiques d'éléments organiques présents sur la peau (sueur, corps gras, etc.) au contact du métal (le composant clé le plus caractéristique s'appelle 1-octène-2-one). Odeur humaine d'épiderme qui sera associée par le cerveau au métal.
Ces chercheurs proposent même une explication au fait que le sang ait lui aussi une odeur métallique car l'hémoglobine, qui transporte l'oxygène, possède des molécules de fer. Ce qui aurait pu « faciliter » la vie des chasseurs préhistoriques dans leurs traques pour retrouver des animaux ou des adversaires blessés. En ce temps-là, on se laissait donc bien guider par le nez mais pas « au pif ».
Source: Jean-Luc Nothias - Le Figaro 29.11.2006
Dix-sept siècles plus tard, les « barils d'aisance », disposés aux quatre coins des rues de Paris, devinrent de petites constructions sous l'impulsion du comte Claude-Philibert de Rambuteau. D'abord appelées « colonnes Rambuteau », ces toilettes publiques devinrent très vite les fameuses « vespasiennes ». Mais Vespasien avait tort. L'argent a bel et bien une odeur. Et une étude récente de chercheurs allemands apporte de surprenants éclaircissements et un début d'explication paradoxale : les pièces de monnaie ont une odeur bien qu'elles ne sentent rien.
Mais tout d'abord, qu'est-ce qu'une odeur ? On pourrait dire que c'est le souvenir d'une rencontre avec une molécule volatile. Il en existe quelque 300 000 différentes. Et l'homme est en moyenne capable d'en distinguer 10 000. Le bourdon, par exemple, monte, lui, à 30 000. Le système olfactif est un peu comme un « oeil » muni de millions de facettes capable de « voir » les molécules volatiles. Transportées par l'air, elles atteignent la muqueuse olfactive (4 à 5 cm2 de tissu au fond des fosses nasales). Les cellules de cette muqueuse portent à leur surface des récepteurs qui sont comme des serrures, chaque cellule ayant son propre type de serrures. L'homme possède environ un millier de serrures différentes réparties sur 10 millions de cellules olfactives (contre 1 milliard chez le chien). La molécule volatile odoriférante joue le rôle de clé. Lorsqu'elle trouve « sa » serrure, elle s'y insère. Ceci déclenche, dans le neurone correspondant, un signal électrique qui va gagner le bulbe olfactif du cerveau. Là se trouve un millier de « centres intégrateurs » qui vont « classer » ces informations puis les envoyer au cortex cérébral. Là, elles seront combinées pour former un « motif odorant » qui sera classé dans deux grands « classeurs », les bonnes et les mauvaises odeurs.
Mais pour pouvoir reconnaître un aussi grand nombre d'odeurs, le système olfactif s'est fait mathématicien. Attention les neurones. L'équation de base est : un récepteur olfactif (la serrure) peut reconnaître plusieurs molécules odorantes (les clés) et une même molécule odorante peut être reconnue par plusieurs récepteurs olfactifs. La reconnaissance de l'odeur va donc se faire par la combinatoire. Comme si le souvenir d'une odeur était un coffre dont la combinaison d'ouverture est l'activation d'un certain nombre de neurones olfactifs bien précis. Si chaque récepteur peut s'activer pour trois molécules différentes et qu'il y ait un millier de récepteurs différents, plusieurs millions de combinaisons d'identification sont possibles. Les découvreurs de ce système, les chercheurs Richard Axel et Linda Buck ont d'ailleurs reçu le prix Nobel de médecine 2004.
La reconnaissance d'une odeur est aussi liée à sa concentration. En la matière, l'homme n'est pas champion du flair. Les chiens ont une capacité à détecter une odeur de 300 à 10 000 fois plus faible que l'homme et les rats de 8 à 50 fois. Les poissons, les insectes, les oiseaux sont également de « grands nez », contrairement (est-ce étonnant ?) aux mammifères marins, dauphins et baleines. Chez l'homme, au seuil de détection en dessous duquel on est « aveugle » aux odeurs se produit le phénomène que l'on appelle l'« odeur indéfinissable ». Comme si l'image mentale de l'odeur était floue. On ne peut mettre un nom dessus.
La subtilité du système olfactif ne s'arrête pas là comme viennent de le démontrer des chercheurs allemands du Virginia Tech de Blacksburg. Ils ont ainsi analysé l'odeur émise lorsqu'un humain touche des pièces de monnaie ou tout autre élément métallique. Chacun connaît cette « odeur métallique » caractéristique. Mais l'analyse a montré qu'il n'y avait en fait aucune molécule proprement métallique dans cette odeur qui n'est donc qu'une illusion. Celle-ci est créée par des réactions chimiques d'éléments organiques présents sur la peau (sueur, corps gras, etc.) au contact du métal (le composant clé le plus caractéristique s'appelle 1-octène-2-one). Odeur humaine d'épiderme qui sera associée par le cerveau au métal.
Ces chercheurs proposent même une explication au fait que le sang ait lui aussi une odeur métallique car l'hémoglobine, qui transporte l'oxygène, possède des molécules de fer. Ce qui aurait pu « faciliter » la vie des chasseurs préhistoriques dans leurs traques pour retrouver des animaux ou des adversaires blessés. En ce temps-là, on se laissait donc bien guider par le nez mais pas « au pif ».
Source: Jean-Luc Nothias - Le Figaro 29.11.2006
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