23.2.06

Gagner les « coeurs et les esprits »

Dans un document récemment déclassifié et diffusé par la National Security Archive, le Pentagone décline sa stratégie pour contrôler l’information. Intitulé Information Operations Roadmap, le document daté et paraphé par Donald Rumsfeld le 30 octobre 2003, passe en revue les différentes activités de l’Armée ayant trait à la maîtrise de l’information. L’éventail de ces activités va de la guerre électronique, à l’intoxication massive des médias en passant par la « guerre à l’internet » sans compter les opérations psychologiques (Psyops).

Au lendemain du 11 septembre, le Pentagone s’était déjà illustré en créant dans le plus grand secret l’Office for the Strategic Influence (OSI), une agence de propagande chargée de modeler les opinions publiques au niveau planétaire par une intoxication massive des médias afin de soutenir la guerre au terrorisme. A l’époque, les révélations de la presse sur les activités de l’OSI et leur impact sur les informations diffusées par les médias états-uniens ont contraint Donald Rumsfeld à annoncer la fermeture de cette nouvelle agence. En effet le Smith-Mundt Act interdit de mener des campagnes de désinformation visant un public états-unien.

Le Pentagone n’a pas renoncé pour autant à ses projets, l’Office for the Strategic Influence (OSI) a été remplacé par Office of Special Plans (OSP) pour devenir courant 2003 le Northern Gulf Affairs Office. Crée en septembre 2002 et supervisé par le sous secrétaire à la défense William Luti, cette officine s’est attelée à préparer le terrain pour une intervention en Irak, en distillant des informations sur les supposées armes de destruction massive détenues par l’Irak, et ses liens avec le terrorisme international.

Le document rendu public fin janvier 2006 par la National security Archive, confirme que le Pentagone n’a pas abandonné le terrain de la guerre de l’information et de la propagande. Ainsi le document indique que « L’importance de la maîtrise de de l’information, explique l’objectif de transformation des Opérations d’information pour en faire une arme à part entière comme c’est le cas des forces aériennes, terrestres, navales, ainsi que les forces spéciales » (« The importance of dominating the information spectrum explains the objective of transforming IO into a core military competency on a par with air, ground, maritime and special operations »)

C’est donc dans cette optique que le Pentagone investit un champ de compétence antérieurement dévolu au département d’État, et plus particulièrement au sous sécrétaire d’État à la diplomatie publique et aux affaires publiques (The Under Secretary for Public Diplomacy and Public Affairs) en fait un ministère de la propagande dont la mission est de diffuser la doctrine états-unienne, notamment par le biais de médias directement sous son contrôle tels que Voice of America, ou TV Marti. Ainsi le document affirme également que « les principales activités en matière d’information du département de la Défense incluent les affaires publiques, le soutien militaire à la diplomatie publique et les opérations psychologiques » ( « Major DoD "information activities" include public affairs, military support to public diplomacy and PSYOP »).

Le récent scandale impliquant le Pentagone et un de ses sous-traitants, le Lyncoln Group, au sujet d’articles journalistiques présentant l’occupation de l’Irak sous un jour favorable, rédigés par des militaires états-uniens puis diffusés par la presse irakienne, illustre cette stratégie. En outre le Pentagone n’exclut pas de développer lui même des médias au service de la propagande. il est fait mention de la volonté de « développer un site web d’audience mondiale au service des objectifs de communication des États-Unis. Les contenus proviendraient essentiellement de tiers, et donc plus crédibles pour des publics étrangers que s’ils émanaient d’officiels états-uniens ». (« Develop a global web site supporting U.S. strategic communications objectives. Content should be primarily from third parties with greater credibility to foreign audiences than U.S. officials »). De fait le Pentagone gère directement à travers l’US European Command les deux sites suivants : Le Southeast European Times sur les Balkans, et Magharebia.com sur le Maghreb et affiche sa volonté d’« identifier et de disséminer les points de vues de tierces parties qui soutiennent les positions états-uniennes. Ces sources pourraient ne pas épouser totalement les positions US comme le souhaiterait le DSG (Abréviation non déclinée), mais pourraient néanmoins exercer une influence positive ».(« Identify and disseminate the views of third party advocates that support U.S. positions. These sources may not articulate the U.S. position the way that the DSG would, but they may nonetheless have a positive influence »).

D’ailleurs l’internet est dans ce document désigné comme étant un ennemi à combattre, ainsi « le département va se battre contre le net, comme il le ferait contre un système d’armes » (« the Department will "fight the net" as it would a weapons system »). En effet le contrôle des différents réseaux de communication et d’information est devenu un élément statégique majeur pour s’assurer la victoire aussi bien sur les champs de bataille que dans les opinions publiques.

Toutefois, le Pentagone reconnaît que « L’information destinée à un public étranger, y compris la diplomatie publique et les opérations psychologiques est de plus en plus consommée par un public domestique. » (« information intended for foreign audiences, including public diplomacy and PSYOP, increasingly is consumed by our domestic audience and vice-versa ».), se plaçant de fait sur le terrain de l’illégalité. Pour y remedier le Department of Defense propose une meilleure coordination interagences afin d’assurer la cohérence globale des actions de propagande états-uniennes.

Lien vers le rapport Information Operations Roadmap United-States, Department of Defense, released by National Security Archive (PDF 2,3 Mo)
source: La guerre de l’information Cyril Capdevielle (Réseau Voltaire)