21.2.06

Allégorie urbaine et lutte de classes

«on ne va pas régler le problème des banlieues »... au bureau , au café combien de fois avons-nous surpris cette formule d'un deuxième degré confortable . Faut-il y voir comme un aveu embarrassé, un symbole ambigu et grossier d'absence de conscience citoyenne pour ne pas dire « politique »? En ces temps de «Guerre sainte» chômage et Coran ne forment-ils pas les deux faces, d'une même pièce ? Bien étrange monnaie républicaine devenue hélas monnaie courante! Mais faut-il vraiment prendre pour argent content cette monnaie de singe frappée du sceau des cités, celui de la rupture face à une société d' hyper- consommation insolente qui n'épargne ni les hommes ni Dieu. Pour dialoguer à nouveau et se comprendre, encore faut-il entendre et voir. Pour entendre, il faut arrêter le bruit, le feu, la fureur et les cris. Pour voir, descendre de voiture et oser aller au delà, parfois juste à côté, là ou «l'homme blanc ne s'aventure plus » depuis bien longtemps.

En se reportant à la rubrique des faits divers de la presse on peut noter les incidents qui alimentent fantasmes et réalités de la vie des quartiers : voitures brûlées, « caillassage » de bus, bagarres entre bandes et cités , vols et rackets, « deals » et agressions accroissement de la délinquance en tout genre. Cette expression brutale d'un malaise diffus n'a cessé de croître. Sur les murs, les portes, les carrosseries de camion, fleurissent tatouages barbares et slogans exubérants qui révèlent cette lente dégradation des relations sociales stigmatisant toute forme d'intégration ou d'assimilation nationale et ne laissant aucune autre alternative que l'« émeute urbaine » comme mode d'expression territoriale, la violence comme mode de reconnaissance identitaire .

A mesure qu'a progressé le chômage des jeunes, la ZUP est devenue le quartier « à problèmes » . Faute d'une politique de mixité sociale du logement, la «ghettoïsation » des immeubles a provoqué le départ de familles « respectables ». Le « bizness » s'est développé, des incidents plus fréquents ont eu lieu, la peur a gagné les anciens habitants des « blocs », engendrant la
spirale : peur des «vieux »/provocation des jeunes/demande de sécurité des premiers/protestation contre les interventions policières des seconds, etc.

Les jeunes qui s'attroupent et barrent l'accès des immeubles ne sont pas menaçants à proprement parler. Mais, du fait de leur présence constante, règne une atmosphère faite d'un mélange de suspicion a priori et d'hostilité sourde au monde environnant.
Dans la rue piétonne ou dans la ZUP, on sent chez eux une fébrilité à occuper l'espace, largement et bruyamment, comme s'ils devaient manifester publiquement le droit de le faire. Une
« sur-occupation » vécue comme la compensation de leur sentiment d'infériorité sociale.

La violence de l'émeute urbaine exprime la haine, souvent retournée contre soi, d'un groupe socioculturel particulier : des enfants d'immigrés, qui ont subi une élimination scolaire précoce - ou qu'on a orientés vers les « sales » lycées d'enseignement professionnel (LEP) - et qui se sentent enfermés dans un destin de losers. Marquée négativement par l'institution scolaire, souvent sans repères familiaux, en rupture, cette génération est à la fois endurcie précocement par les épreuves de la vie (familles pauvres, monoparentales, etc.), et rebelle, dès l'école primaire, à la plupart des formes d'autorité institutionnelle. Elle a du mal à reconnaître une quelconque légitimité aux institutions. La violence qu'elle exprime plonge ses racines dans l'ordre social, mais aussi dans le quartier, dans les familles, dans l'histoire.

La sécurité, la «question des immigrés» et les ruptures sociales ont travaillé de l'intérieur les élections municipales de mars 2001 tout comme la présidentielle d'avril et mai 2002. Et il y a fort à parier que cela se reproduise lors des prochaines échéances locales et nationales .

On le remarque plus particulièrement dans les quartiers « sensibles », dans les lieux de « malvie » : un « système » sociopolitique cohérent qui reposait sur une culture ouvrière politisée, à l'usine et dans les quartiers populaire est en voie d'extinction. Cette culture a volé en éclats sous l'impact des effets multiples de la crise (paupérisation, pression croissante au travail, fuite des ouvriers les moins mal lotis dans l'habitat pavillonnaire, sauve qui-peut individuels). Pour l'instant rien ne l'a remplacée.

Plutôt que se lancer dans une politique de la ville coûteuse et incertaine, ne conviendrait-il pas de renforcer simplement les "liens de proximité " (au travail, dans les quartier) dont les classes populaires avaient su se doter et qui se sont effritées au cours de ces vingts dernières années. C'est-à-dire stabiliser et « sécuriser» les conditions d'existence de ces classes. Et, ce faisant, redonner fierté au monde ouvrier en ne faisant plus semblant de s'ïntéresser à lui seulement au lendemain ou à la veille des élections...Et si cela ne "règle pas le problème des banlieues" cela pourrait nous rapprocher à défaut d'idéal social, d'un retour au dialogue ... en arrêtant le bruit, le feu, la fureur et les cris quelques instants. Et si décidément les mots ne sont que des symboles, "alors il faut crever les mots". (Krishnamurti)